Le vaisseau spatial
Pascal
avait remonté les couvertures jusqu’à son menton. Les yeux fermés, il attendait
impatiemment que sa maman lui fasse son bisou sur le front et lui souhaite une
bonne nuit. Son esprit apaisé était encore empli des belles images suggérées
par la lecture du livre de contes qu’elle lui avait faite. Ainsi, il s’apprêtait
à rejoindre le doux sommeil où il retrouverait, il le savait, tous ses amis du
pays des rêves. Il l’aimait vraiment bien sa maman. Depuis que son père était
mort, l’année dernière, elle n’avait eu de cesse de le consoler, de le choyer,
d’avoir des mots gentils pour lui afin
qu’il surmonte son immense chagrin. Certes, il n’était qu’un petit garçon de
sept ans mais il s’était parfaitement rendu compte de tous les efforts qu’elle
avait fait pour l’aider et il lui en était reconnaissant. Il savait
qu’elle-même traversait une période difficile et que sa tristesse était au
moins aussi grande que la sienne. Alors, en retour, lui aussi essayait de se
montrer à la hauteur. Il travaillait bien à l’école, se montrait prévenant et
ne se plaignait jamais. Ce n’était pas facile mais il y arrivait.
Lorsqu’il
était en vie, son père adorait fabriquer de petits avions en bois. Pascal en
avait des dizaines dans sa chambre. Sur les étagères, sur le bureau et dans
une grande malle car il ne pouvait pas
les exposer tous à la fois. Cependant, régulièrement, il sortait ceux de la
malle et les rangeait sur les meubles. Ainsi, chaque avion avait le droit à son
temps de voyage et aucun d’entre eux ne pouvait être jaloux des autres. Pascal
les trouvait tous beaux, sans exception et aucun n’avait sa préférence. Il
retrouvait en chacun un peu de l’amour que son père lui portait. Pourtant, il y
en avait un qu’il regardait avec une tendresse particulière. C’était le vaisseau
spatial que son père avait commencé et qu’il n’avait pas eu le temps d’achever.
Le seul de sa collection. Il ne serait jamais terminé et c’était bien dommage.
Pascal le laissait toujours sorti sur sa table de nuit. C’était un genre de
croiseur intergalactique dont seule la forme de la carlingue était ébauchée. Il
lui manquait les canons de combat, les vitres et la première couche de peinture
n’avait même pas été passée. Pourtant il
était magnifique et Pascal se promettait que si lui aussi, avait un fils un
jour, il lui confectionnerait le même.
A
présent, sa maman avait éteint la lumière et avait refermé la porte de la
chambre. Il restait seul, dans le noir, mais il n’avait pas peur : Il
savait qu’elle veillait sur lui. Ses yeux
doucement se fermaient. Il s’endormait. Une douce chaleur envahit son
corps.
Il
se réveilla peu après dans le fauteuil d’une petite pièce aux murs blancs. Face
à lui, un bureau sur lequel on distinguait des tas de feuilles de papier. Le
jour entrait par la fenêtre du mur opposé. Il s’étira et bâilla en se demandant
ce qu’il faisait là. Il était tout de même étonné car il ne connaissait pas cet
endroit. Comment y était-il arrivé ? Mais il n’était qu’un petit garçon de
sept ans et à cet âge on accepte facilement les situations les plus étranges.
Alors il se leva et entreprit de
consulter les documents qui trainaient là, épars. C’était des plans de
machines : Des moteurs, des hélices, des ailes, des turbines, mais il n’en
avait jamais vu de tels. A vrai, dire se reprit-il il avait rarement vu de
plans tout court : C’était donc normal qu’il trouvât cela mystérieux. Il
regarda par la fenêtre. Des hommes s’affairaient dans une immense place
bétonnée et d’impressionnants hangars s’élevaient ici et là, avec en façade, de
grandes portes coulissantes d’où sortaient des engins motorisés tirant des
remorques pleines de matériel. Il était sur une base, se dit-il. Peut-être sur
une base américaine ultrasecrète ? Il fallait qu’il voie ça. Mais comment
ne pas se faire repérer ? Il ouvrit un placard et y trouva une combinaison
qui avait l’air à sa taille. Il l’enfila et se dirigea vers la porte.
Précautionneusement, il l’ouvrit : Il n’y avait personne dans le couloir.
Alors il s’enhardit et partit à l’aventure. A peine eut-il fait quelques pas
qu’un groupe d’hommes portant le même uniforme que lui apparut au bout du
couloir. Ils l’avaient vu. Que faire ? Il ne pouvait pas s’enfuir, il se
ferait repérer…Alors il décida d’aller vers eux. En tremblant, il arriva à leur
hauteur. Et, à sa grande satisfaction, en souriant, ils lui firent un salut
militaire. Instinctivement, il leur rendit leur salut et ils continuèrent leur
chemin. Ouf ! Habillé comme il l’était, il passait inaperçu. Il allait
pouvoir poursuivre son exploration.
Au bout du couloir, la dernière porte donnait sur la cour.
Il l’ouvrit. Un soleil radieux illuminait la place, il fut un peu ébloui. Partout
on s’affairait. Des hommes et des femmes allait dans tous les sens. Certains au
volant de voiturettes, d’autres à pied mais ne flânant pas pour autant. Tout le
monde travaillait : Une vraie ruche en chantier. De gros bidons, des
caisses s’éparpillaient çà et là, près des entrées des hangars. Dans ces
derniers, Pascal apercevait des avions de toutes tailles : Des gros,
vraisemblablement pour les transports du matériel et des hommes et de plus
petits pour les missions demandant de la rapidité. Ces engins, volants
attendaient qu’un pilote vienne à leur bord pour une ballade dans les cieux.
Mais, le garçon ne les distinguait pas très bien. Ils étaient garés au fond des
hangars. Pascal était curieux. Il décida d’aller voir ce qu’il en était. A ce
moment, un homme l’interpella : « Sergent ! » Le
garçon s’étonna : C’est lui que l’on appelait sergent ? Il fit
semblant de ne pas entendre et poursuivit son chemin. « Alors, vous ne
m’avez pas entendu ? » insista l’homme. Pascal s’arrêta et le salua.
« Si, je vous ai entendu mais je ne pensais pas que vous vous adressiez à
moi.
—
Vous avez bien les galons de sergent sur
votre uniforme, sergent dans la section mécanique ?
—
Oui, répondit au hasard Pascal.
—
Alors vous êtes mon homme. J’ai une
mission à vous confier. Suivez-moi. »
Le garçon, légèrement
inquiet, emboita le pas de celui qui
était vraisemblablement un chef. Ils parvinrent dans un petit baraquement situé
un peu à l’écart. Le responsable prit place derrière un bureau. Il indiqua une
chaise à Pascal. « Asseyez-vous » Intimidé, le garçon
obéit. « Vous n’êtes pas sans savoir que nous travaillons sur un
projet ultrasecret, connu seulement de quelques hommes d’élites. Je vous
propose de rejoindre ce groupe. Vous en avez visiblement toutes les
compétences… » Et il se mit à parler, parler, parler sans s’arrêter. Le
garçon écouta d’abord attentivement car il était fier qu’on l’ait choisi pour
cette mission, mais, petit à petit, il décrocha. Ses yeux se mirent à cligner.
Il bailla. Il essaya de lutter mais l’autre était vraiment trop fatiguant. Il
ne s’arrêtait pas de parler. Pascal ne comprenait plus rien. Alors il s’endormit.
Il se réveilla dans son lit. Et regarda son radio réveil. Samedi,
huit heures quarante-cinq. Vite, il se leva pour aller déjeuner. Dans la cuisine,
sa mère était déjà là. Il l’embrassa. « Bonjour Pascal !
—
Bonjour maman. J’ai visité une base
aérienne. Et on m’a proposé de travailler sur un projet ultra secret. Je ne sais
pas bien encore ce que c’est mais cela a l’air intéressant.
—
Tu as dû faire un beau rêve…
—
Un rêve ? s’étonna Pascal. Mais non,
ce n’était pas un rêve !
—
Mais si c’était un rêve.
—
Pas du tout, c’était la réalité !
affirma-t-il.
—
Et quand aurais-tu visité cette
base ?
—
Mais il n’y a pas longtemps. J’ai vu des
avions et j’avais le grade de sergent.
—
Allons, s’impatienta sa mère. Sois
sérieux. Prends ton petit déjeuner.
Elle lui versa du
chocolat dans un grand bol. « Mais non je t’assure… Tu ne me crois
pas ? Insista le garçon.
—
Mais si, admit sa mère pour être
tranquille.
—
Non, tu ne me crois pas, s’énerva Pascal.
De toute façon, tu ne me crois jamais. Tu me prends pour un bébé. J’en ai
marre !
Et, très en colère, il
quitta la table sous le regard étonné de sa mère.
Il fut d’humeur maussade toute la journée et il parla très
peu à sa mère. Comme, effectivement, il ne se rappelait plus comment il était
arrivé à la base, il se demandait si, finalement, elle n’avait pas raison et il lui en voulait.
Peut-être avait-il rêvé ? Pourtant, tout avait l’air si réel… Mais comment
retrouver cet endroit ? Il n’avait aucune idée de son emplacement.
Le soir, au moment du coucher, sa mère lui raconta une nouvelle
histoire. Il s’excusa : « Maman, pardonnes moi. J’ai été méchant
aujourd’hui. Demain, promis, je serai gentil.
—
Mais tu es toujours gentil, Pascal. Tu
étais déçu c’est tout. C’est normal, tu n’es pas un robot ! Je t’aime
toujours.» Et elle l’embrassa sur le front.
Rassuré,
il s’endormit très vite.
Il
se réveilla peu après. Il avait un peu mal au dos parce qu’il était allongé sur
un tas de sacs dans une position très inconfortable. Il était dans un hangar.
Au milieu, il y avait un gros appareil, sous une bâche. Le bout de ses ailes
dépassait de la toile. Un homme s’adressa à lui. Il reconnut le chef du projet ultra secret. Il était donc de retour sur la base. Il s’en
réjouit : « Allons Pascal, lui dit ce dernier, la sieste est
finie. Il est temps de se remettre au travail. » Le garçon se leva
brusquement : « Oui, tout de suite ! Je récupère mes outils
et je m’y mets.
—
Très bien, lui répondit le chef. J’ai eu
raison de te faire confiance. »
Et Pascal, récupéra une
caisse à outils posée non loin de lui et se mit en route. Mais qu’allait-il
faire au juste ? Il ne le savait pas. Alors, il décida de se
renseigner. Il s’adressa à une jeune femme qui, elle aussi, avait une caisse à
outils. Comme il n’était pas bête et qu’il devinait les choses, il lui demanda
en lui montrant le gros appareil : « Le projet ultra secret sera
bientôt prêt ?
—
Oui, normalement, ce soir tout est en
place. On enlèvera la bâche et demain le pilote prendra les commandes.
—
Mais pour aller où ?
—
Mais dans l’espace voyons,
s’étonna-t-elle. Vous sortez de la cambrousse ?
—
Non, non. Je le savais dit-il. Je voulais
être sûr que vous faisiez partie du projet.
— Bien
sûr que j’en fais partie, s’indigna-t-elle. Vous croyez que je suis une
espionne ? Allez, assez discuté, allons travailler. Il reste quelques
réglages à effectuer sur le moteur. Vous allez m’aider »
Il la suivit. Ils
travaillèrent tout l’après-midi. Enfin, surtout elle ! En fait, il se
contenta de lui passer les outils. Mais comme elle savait ce qu’elle avait à
faire tout se déroula sans problème.
Le soir, tous les responsables, tous les mécaniciens, tous
les pilotes, enfin, tout le personnel de la base se réunirent dans le grand
hangar, afin d’assister à la cérémonie officielle de l’enlèvement de la bâche. Le
pilote de l’engin ultra secret n’était pas là : Il devait se reposer. Le
grand responsable prit la parole : « chères collaboratrices et
Chers collaborateurs, aujourd’hui nous allons enfin voir nos efforts couronnés
de succès. Le FX387 qui demain, emmènera notre meilleur pilote dans l’espace
est enfin prêt. Je vous félicite toutes et tous. Ce projet ultra secret n’a pu
être mené à bien que grâce à votre dévouement et votre travail acharné. A cette
occasion, je voudrais vous rappeler les différentes étapes qui ont conduit à
l’aboutissement de notre projet. Tout a commencé il y a quatre ans
maintenant… » Et il se mit à parler, parler, parler sans s’arrêter. Pascal
qui était assis sur un chariot, sentit rapidement l’ennui puis la fatigue
l’envahir. Ses paupières devinrent lourdes, très lourdes, il bailla et finalement,
s’endormit.
Il se réveilla dans son lit. Sur son radio réveil était
indiqué dimanche, neuf heures. Il était content. Il ne savait toujours pas
comment il avait retrouvé la base mais cette fois il en était sûr : Elle
existait vraiment. Il décida qu’il n’en parlerait pas à sa mère pour ne pas
l’inquiéter. Et comme il l’avait affirmé le jour précédent, il fut doux et
attentionné envers sa mère tout ce dimanche pour qu’elle ne se doute de rien.
Il était fier de lui car il avait un secret.
Le soir, après le baiser de sa mère, il s’endormit
heureux.
Lorsqu’il ouvrit les yeux, il était debout dans le grand
hangar de la base. La bâche avait été enlevée et l’on pouvait admirer le FX387.
C’était un engin fabuleux. De couleur blanche, il possédait deux grandes ailes
qui partaient de chaque côté du nez arrondi de l’appareil et allaient, en
s’élargissant, jusqu’au moteur arrière. Celui-ci était énorme et on sentait
qu’il pouvait éjecter les grandes quantités de flammes nécessaires pour envoyer
le FX387 dans l’espace. La verrière du cockpit était relevée et l’habitacle où
allait bientôt prendre place le pilote semblait tout petit par rapport au reste
de l’appareil. Qui était donc ce héros qui avait été choisi pour le
piloter ? Ce devait être un être exceptionnel se dit Pascal. Il avait hâte
de le voir. « Le voilà ! s’écria une voix derrière lui.
—
Il arrive ! reprit quelqu’un
d’autre. »
Et effectivement, le
garçon aperçut un homme qui s’avançait lentement vers eux, le casque à la main.
Il était majestueux. Cependant, Pascal fut troublé. Cette silhouette, ce pas
assuré, la couleur de ces cheveux, il les connaissait, ils les avaient déjà
vus. Et, au fur et à mesure que l’homme se rapprochait ce sentiment
grandissait : Il le connaissait ce pilote, ce héros qui allait explorer l’espace.
Soudain, il reconnut son père. C’était lui, c’était bien lui qui s’avançait. C’était
vraiment incroyable ! Il se précipita vers lui. « Papa ! »
Ce dernier l’aperçut, étonné. Pascal sauta dans ses bras : «
Papa ! Je suis si content de te voir !
—
Pascal ! quelle surprise ! moi
aussi je suis content de te voir. Comment se fait-il que tu sois ici ?
—
J’ai été embauché pour travailler sur le
projet FX387.
—
Je suis fier de toi, le félicita son père.
—
Et moi alors ! s’enthousiasma le
garçon tu ne crois pas que je suis fier
de toi ? C’est toi le pilote, ça alors !
—
Et oui, c’est moi.
—
Tu pars tout de suite ?
—
Oui, dans quelques minutes.
—
Alors, je ne vais pas t’embêter, lui
répondit Pascal. Si tu savais comme je suis fier !
—
Et moi, je suis vraiment content que tu
sois là. D’ailleurs, j’ai un cadeau pour toi.
De la poche de sa
combinaison, il sortit une petite
maquette de vaisseau spatial: « Tiens,
gardes la précieusement. Comme cela, en la regardant, toute ta vie tu te
rappelleras de ce jour. Tu ne l’oublieras jamais. Allez, maintenant je dois y
aller. Je suis si heureux de t’avoir vu ! » Et il l’embrassa. Pascal le
regarda s’éloigner. Le garçon tenait bien serrée la maquette entre ses mains.
Son père grimpa dans le FX387. Une fois assis dans le cockpit, la verrière
refermée, il fit un salut à son fils qui le lui rendit. Quelques minutes plus
tard, le moteur crachait des flammes et le FX387 s’envolait bientôt vers les
étoiles.
Pascal se réveilla au son de son radio réveil. Lundi matin,
sept heures. Aujourd’hui il y avait école. Le garçon se rappelait parfaitement
avoir vu son père. Il l’avait vu partir pour l’espace. Il tourna la tête vers
sa table de nuit, là où se trouvait d’habitude, la maquette du croiseur intergalactique
que son père n’avait pas eu le temps de finir. Elle était toujours là. Mais ce
matin, les canons de combats étaient en place et la peinture blanche était
passée. Ce matin, le vaisseau était terminé. C’était celui que lui avait donné
son père avant de partir en voyage.