Ces histoires bien sûr sont enregistrées à La Société Des Gens de Lettres, à Paris. Vous ne pouvez donc les utiliser qu'avec mon accord. Merci de votre compréhension.

samedi 18 avril 2015

Le vaisseau spatial



Le vaisseau spatial

Pascal avait remonté les couvertures jusqu’à son menton. Les yeux fermés, il attendait impatiemment que sa maman lui fasse son bisou sur le front et lui souhaite une bonne nuit. Son esprit apaisé était encore empli des belles images suggérées par la lecture du livre de contes qu’elle lui avait faite. Ainsi, il s’apprêtait à rejoindre le doux sommeil où il retrouverait, il le savait, tous ses amis du pays des rêves. Il l’aimait vraiment bien sa maman. Depuis que son père était mort, l’année dernière, elle n’avait eu de cesse de le consoler, de le choyer, d’avoir des mots gentils pour lui  afin qu’il surmonte son immense chagrin. Certes, il n’était qu’un petit garçon de sept ans mais il s’était parfaitement rendu compte de tous les efforts qu’elle avait fait pour l’aider et il lui en était reconnaissant. Il savait qu’elle-même traversait une période difficile et que sa tristesse était au moins aussi grande que la sienne. Alors, en retour, lui aussi essayait de se montrer à la hauteur. Il travaillait bien à l’école, se montrait prévenant et ne se plaignait jamais. Ce n’était pas facile mais il y arrivait.
Lorsqu’il était en vie, son père adorait fabriquer de petits avions en bois. Pascal en avait des dizaines dans sa chambre. Sur les étagères, sur le bureau et dans une  grande malle car il ne pouvait pas les exposer tous à la fois. Cependant, régulièrement, il sortait ceux de la malle et les rangeait sur les meubles. Ainsi, chaque avion avait le droit à son temps de voyage et aucun d’entre eux ne pouvait être jaloux des autres. Pascal les trouvait tous beaux, sans exception et aucun n’avait sa préférence. Il retrouvait en chacun un peu de l’amour que son père lui portait. Pourtant, il y en avait un qu’il regardait avec une tendresse particulière. C’était le vaisseau spatial que son père avait commencé et qu’il n’avait pas eu le temps d’achever. Le seul de sa collection. Il ne serait jamais terminé et c’était bien dommage. Pascal le laissait toujours sorti sur sa table de nuit. C’était un genre de croiseur intergalactique dont seule la forme de la carlingue était ébauchée. Il lui manquait les canons de combat, les vitres et la première couche de peinture n’avait même pas été passée.  Pourtant il était magnifique et Pascal se promettait que si lui aussi, avait un fils un jour, il lui confectionnerait le même.
A présent, sa maman avait éteint la lumière et avait refermé la porte de la chambre. Il restait seul, dans le noir, mais il n’avait pas peur : Il savait qu’elle veillait sur lui. Ses yeux  doucement se fermaient. Il s’endormait. Une douce chaleur envahit son corps.
Il se réveilla peu après dans le fauteuil d’une petite pièce aux murs blancs. Face à lui, un bureau sur lequel on distinguait des tas de feuilles de papier. Le jour entrait par la fenêtre du mur opposé. Il s’étira et bâilla en se demandant ce qu’il faisait là. Il était tout de même étonné car il ne connaissait pas cet endroit. Comment y était-il arrivé ? Mais il n’était qu’un petit garçon de sept ans et à cet âge on accepte facilement les situations les plus étranges. Alors  il se leva et entreprit de consulter les documents qui trainaient là, épars. C’était des plans de machines : Des moteurs, des hélices, des ailes, des turbines, mais il n’en avait jamais vu de tels. A vrai, dire se reprit-il il avait rarement vu de plans tout court : C’était donc normal qu’il trouvât cela mystérieux. Il regarda par la fenêtre. Des hommes s’affairaient dans une immense place bétonnée et d’impressionnants hangars s’élevaient ici et là, avec en façade, de grandes portes coulissantes d’où sortaient des engins motorisés tirant des remorques pleines de matériel. Il était sur une base, se dit-il. Peut-être sur une base américaine ultrasecrète ? Il fallait qu’il voie ça. Mais comment ne pas se faire repérer ? Il ouvrit un placard et y trouva une combinaison qui avait l’air à sa taille. Il l’enfila et se dirigea vers la porte. Précautionneusement, il l’ouvrit : Il n’y avait personne dans le couloir. Alors il s’enhardit et partit à l’aventure. A peine eut-il fait quelques pas qu’un groupe d’hommes portant le même uniforme que lui apparut au bout du couloir. Ils l’avaient vu. Que faire ? Il ne pouvait pas s’enfuir, il se ferait repérer…Alors il décida d’aller vers eux. En tremblant, il arriva à leur hauteur. Et, à sa grande satisfaction, en souriant, ils lui firent un salut militaire. Instinctivement, il leur rendit leur salut et ils continuèrent leur chemin. Ouf ! Habillé comme il l’était, il passait inaperçu. Il allait pouvoir poursuivre son exploration.
         Au bout du couloir, la dernière porte donnait sur la cour. Il l’ouvrit. Un soleil radieux illuminait la place, il fut un peu ébloui. Partout on s’affairait. Des hommes et des femmes allait dans tous les sens. Certains au volant de voiturettes, d’autres à pied mais ne flânant pas pour autant. Tout le monde travaillait : Une vraie ruche en chantier. De gros bidons, des caisses s’éparpillaient çà et là, près des entrées des hangars. Dans ces derniers, Pascal apercevait des avions de toutes tailles : Des gros, vraisemblablement pour les transports du matériel et des hommes et de plus petits pour les missions demandant de la rapidité. Ces engins, volants attendaient qu’un pilote vienne à leur bord pour une ballade dans les cieux. Mais, le garçon ne les distinguait pas très bien. Ils étaient garés au fond des hangars. Pascal était curieux. Il décida d’aller voir ce qu’il en était. A ce moment, un homme l’interpella : «  Sergent ! » Le garçon s’étonna : C’est lui que l’on appelait sergent ? Il fit semblant de ne pas entendre et poursuivit son chemin. «  Alors, vous ne m’avez pas entendu ? » insista l’homme. Pascal s’arrêta et le salua. «  Si, je vous ai entendu mais je ne pensais pas que vous vous adressiez à moi.
   Vous avez bien les galons de sergent sur votre uniforme, sergent dans la section mécanique ?
   Oui, répondit au hasard Pascal.
   Alors vous êtes mon homme. J’ai une mission à vous confier. Suivez-moi. »
Le garçon, légèrement inquiet, emboita le pas  de celui qui était vraisemblablement un chef. Ils parvinrent dans un petit baraquement situé un peu à l’écart. Le responsable prit place derrière un bureau. Il indiqua une chaise à Pascal. « Asseyez-vous » Intimidé, le garçon obéit. «  Vous n’êtes pas sans savoir que nous travaillons sur un projet ultrasecret, connu seulement de quelques hommes d’élites. Je vous propose de rejoindre ce groupe. Vous en avez visiblement toutes les compétences… » Et il se mit à parler, parler, parler sans s’arrêter. Le garçon écouta d’abord attentivement car il était fier qu’on l’ait choisi pour cette mission, mais, petit à petit, il décrocha. Ses yeux se mirent à cligner. Il bailla. Il essaya de lutter mais l’autre était vraiment trop fatiguant. Il ne s’arrêtait pas de parler. Pascal ne comprenait plus rien. Alors il s’endormit.
         Il se réveilla dans son lit. Et regarda son radio réveil. Samedi, huit heures quarante-cinq. Vite, il se leva pour aller déjeuner. Dans la cuisine, sa mère était déjà là. Il l’embrassa. « Bonjour Pascal !
   Bonjour maman. J’ai visité une base aérienne. Et on m’a proposé de travailler sur un projet ultra secret. Je ne sais pas bien encore ce que c’est mais cela a l’air intéressant.
   Tu as dû faire un beau rêve…
   Un rêve ? s’étonna Pascal. Mais non, ce n’était pas un rêve !
   Mais si c’était un rêve.
   Pas du tout, c’était la réalité ! affirma-t-il.
   Et quand aurais-tu visité cette base ?
   Mais il n’y a pas longtemps. J’ai vu des avions et j’avais le grade de sergent.
   Allons, s’impatienta sa mère. Sois sérieux. Prends ton petit déjeuner.
Elle lui versa du chocolat dans un grand bol. « Mais non je t’assure… Tu ne me crois pas ? Insista le garçon.
   Mais si, admit sa mère pour être tranquille.
   Non, tu ne me crois pas, s’énerva Pascal. De toute façon, tu ne me crois jamais. Tu me prends pour un bébé. J’en ai marre !
Et, très en colère, il quitta la table sous le regard étonné de sa mère.
         Il fut d’humeur maussade toute la journée et il parla très peu à sa mère. Comme, effectivement, il ne se rappelait plus comment il était arrivé à la base, il se demandait si, finalement,  elle n’avait pas raison et il lui en voulait. Peut-être avait-il rêvé ? Pourtant, tout avait l’air si réel… Mais comment retrouver cet endroit ? Il n’avait aucune idée de son emplacement.
         Le soir, au moment du coucher, sa mère lui raconta une nouvelle histoire. Il s’excusa : « Maman, pardonnes moi. J’ai été méchant aujourd’hui. Demain, promis, je serai gentil.
   Mais tu es toujours gentil, Pascal. Tu étais déçu c’est tout. C’est normal, tu n’es pas un robot ! Je t’aime toujours.» Et elle l’embrassa sur le front.
Rassuré, il s’endormit très vite.
Il se réveilla peu après. Il avait un peu mal au dos parce qu’il était allongé sur un tas de sacs dans une position très inconfortable. Il était dans un hangar. Au milieu, il y avait un gros appareil, sous une bâche. Le bout de ses ailes dépassait de la toile. Un homme s’adressa à lui. Il reconnut le chef du projet ultra secret. Il était donc de retour sur la base. Il s’en réjouit : «  Allons Pascal, lui dit ce dernier, la sieste est finie. Il est temps de se remettre au travail. » Le garçon se leva brusquement : « Oui, tout de suite ! Je récupère mes outils et je m’y mets.
   Très bien, lui répondit le chef. J’ai eu raison de te faire confiance. »
Et Pascal, récupéra une caisse à outils posée non loin de lui et se mit en route. Mais qu’allait-il faire au juste ? Il ne le savait pas. Alors, il décida de se renseigner. Il s’adressa à une jeune femme qui, elle aussi, avait une caisse à outils. Comme il n’était pas bête et qu’il devinait les choses, il lui demanda en lui montrant le gros appareil : «  Le projet ultra secret sera bientôt prêt ?
   Oui, normalement, ce soir tout est en place. On enlèvera la bâche et demain le pilote prendra les commandes.
   Mais pour aller où ?
   Mais dans l’espace voyons, s’étonna-t-elle. Vous sortez de la cambrousse ?
   Non, non. Je le savais dit-il. Je voulais être sûr que vous faisiez partie du projet.
   Bien sûr que j’en fais partie, s’indigna-t-elle. Vous croyez que je suis une espionne ? Allez, assez discuté, allons travailler. Il reste quelques réglages à effectuer sur le moteur. Vous allez m’aider »
Il la suivit. Ils travaillèrent tout l’après-midi. Enfin, surtout elle ! En fait, il se contenta de lui passer les outils. Mais comme elle savait ce qu’elle avait à faire tout se déroula sans problème.
         Le soir, tous les responsables, tous les mécaniciens, tous les pilotes, enfin, tout le personnel de la base se réunirent dans le grand hangar, afin d’assister à la cérémonie officielle de l’enlèvement de la bâche. Le pilote de l’engin ultra secret n’était pas là : Il devait se reposer. Le grand responsable prit la parole : « chères collaboratrices et Chers collaborateurs, aujourd’hui nous allons enfin voir nos efforts couronnés de succès. Le FX387 qui demain, emmènera notre meilleur pilote dans l’espace est enfin prêt. Je vous félicite toutes et tous. Ce projet ultra secret n’a pu être mené à bien que grâce à votre dévouement et votre travail acharné. A cette occasion, je voudrais vous rappeler les différentes étapes qui ont conduit à l’aboutissement de notre projet. Tout a commencé il y a quatre ans maintenant… » Et il se mit à parler, parler, parler sans s’arrêter. Pascal qui était assis sur un chariot, sentit rapidement l’ennui puis la fatigue l’envahir. Ses paupières devinrent lourdes, très lourdes, il bailla et finalement, s’endormit.
         Il se réveilla dans son lit. Sur son radio réveil était indiqué dimanche, neuf heures. Il était content. Il ne savait toujours pas comment il avait retrouvé la base mais cette fois il en était sûr : Elle existait vraiment. Il décida qu’il n’en parlerait pas à sa mère pour ne pas l’inquiéter. Et comme il l’avait affirmé le jour précédent, il fut doux et attentionné envers sa mère tout ce dimanche pour qu’elle ne se doute de rien. Il était fier de lui car il avait un secret.
         Le soir, après le baiser de sa mère, il s’endormit heureux.
         Lorsqu’il ouvrit les yeux, il était debout dans le grand hangar de la base. La bâche avait été enlevée et l’on pouvait admirer le FX387. C’était un engin fabuleux. De couleur blanche, il possédait deux grandes ailes qui partaient de chaque côté du nez arrondi de l’appareil et allaient, en s’élargissant, jusqu’au moteur arrière. Celui-ci était énorme et on sentait qu’il pouvait éjecter les grandes quantités de flammes nécessaires pour envoyer le FX387 dans l’espace. La verrière du cockpit était relevée et l’habitacle où allait bientôt prendre place le pilote semblait tout petit par rapport au reste de l’appareil. Qui était donc ce héros qui avait été choisi pour le piloter ? Ce devait être un être exceptionnel se dit Pascal. Il avait hâte de le voir. « Le voilà ! s’écria une voix derrière lui.
   Il arrive ! reprit quelqu’un d’autre. »
Et effectivement, le garçon aperçut un homme qui s’avançait lentement vers eux, le casque à la main. Il était majestueux. Cependant, Pascal fut troublé. Cette silhouette, ce pas assuré, la couleur de ces cheveux, il les connaissait, ils les avaient déjà vus. Et, au fur et à mesure que l’homme se rapprochait ce sentiment grandissait : Il le connaissait ce pilote, ce héros qui allait explorer l’espace. Soudain, il reconnut son père. C’était lui, c’était bien lui qui s’avançait. C’était vraiment incroyable ! Il se précipita vers lui. « Papa ! » Ce dernier l’aperçut, étonné. Pascal sauta dans ses bras : «  Papa ! Je suis si content de te voir !
   Pascal ! quelle surprise ! moi aussi je suis content de te voir. Comment se fait-il que tu sois ici ?
   J’ai été embauché pour travailler sur le projet FX387.
   Je suis fier de toi, le félicita son père.
   Et moi alors ! s’enthousiasma le garçon tu ne crois pas que je  suis fier de toi ? C’est toi le pilote, ça alors !
   Et oui, c’est moi.
   Tu pars tout de suite ?
   Oui, dans quelques minutes.
   Alors, je ne vais pas t’embêter, lui répondit Pascal. Si tu savais comme je suis fier !
   Et moi, je suis vraiment content que tu sois là. D’ailleurs, j’ai un cadeau pour toi.
De la poche  de  sa combinaison, il sortit  une petite maquette de vaisseau  spatial: « Tiens, gardes la précieusement. Comme cela, en la regardant, toute ta vie tu te rappelleras de ce jour. Tu ne l’oublieras jamais. Allez, maintenant je dois y aller. Je suis si heureux de t’avoir vu ! » Et il l’embrassa. Pascal le regarda s’éloigner. Le garçon tenait bien serrée la maquette entre ses mains. Son père grimpa dans le FX387. Une fois assis dans le cockpit, la verrière refermée, il fit un salut à son fils qui le lui rendit. Quelques minutes plus tard, le moteur crachait des flammes et le FX387 s’envolait bientôt vers les étoiles.
         Pascal se réveilla au son de son radio réveil. Lundi matin, sept heures. Aujourd’hui il y avait école. Le garçon se rappelait parfaitement avoir vu son père. Il l’avait vu partir pour l’espace. Il tourna la tête vers sa table de nuit, là où se trouvait d’habitude, la maquette du croiseur intergalactique que son père n’avait pas eu le temps de finir. Elle était toujours là. Mais ce matin, les canons de combats étaient en place et la peinture blanche était passée. Ce matin, le vaisseau était terminé. C’était celui que lui avait donné son père avant de partir en voyage.
        


La fève



La fève

Joseph était un boulanger à la Alphonse Daudet : Petit, trapu, le ventre portant bien en avant, les cheveux blanchis par toute une vie passée à manipuler la farine, il était heureux de vivre et trouvait dans son métier toute la joie dont il avait besoin. Il vendait son pain avec sa femme dans un quartier de Lyon et les clients, nombreux et fidèles se pressaient chaque jour dans leur magasin, remerciant souvent le couple pour la qualité de sa marchandise et de son accueil. Car ils étaient sympathiques ces deux amoureux. Ce n’étaient pas vraiment des plaisantins, car ils avaient un peu passé l’âge du calembour, mais toujours, ils se montraient chaleureux, prévenants et avaient su garder, malgré le succès de leur affaire, une authentique modestie et une vraie âme d’enfant. Les clients le leur rendaient bien d’ailleurs. Ainsi, ils n’hésitaient pas à leur confier leurs joies et leurs peines, leurs réussites et leurs échecs, trouvant auprès de ces deux affectueuses personnes une écoute attentive et compréhensive. La boulangère assurait la vente des pains toute la journée tandis que son mari qui avait travaillé toute la nuit se reposait pendant quelques heures. Bien sûr, à la fin de la journée elle était fatiguée, mais elle gardait le sourire, même pour ses deniers clients.
C’est en fin de journée que passait Pascal. Un garçon taciturne, pas très bavard mais qui appréciait grandement cette rencontre quotidienne: « Bonjour madame, vous allez bien ? 
   Bien ! et toi ? 
   Ça va, j’ai bien travaillé à l’école! 
   C’est bien. Je te donne ta baguette et je te mets un croissant de côté pour demain matin ? 
   Oui bien sûr. Allez à demain ! 
   A demain. »
Il payait son dû et rentrait chez lui, non loin de là.
         Il habitait seul avec son père et sa mère. Ils étaient très gentils, ne roulaient pas sur l’or, mais la famille avait de quoi vivre décemment. Le soir ils regardaient la télévision. Pascal avait treize ans et peu d’amis. Mais c’était des amis fidèles sur lesquels il pouvait compter. Quant aux filles, c’était bien simple, elles ne le regardaient même pas. Il était timide, travailleur mais pas très doué et pas bien beau. Cela suffisait à le mettre totalement hors de la course des prétendants et ça lui faisait de la peine. Il se désespérait souvent de cette vie de sauvage comme il disait, qui lui était imposée. Mais il n’avait pas renoncé à trouver une vraie copine même s’il estimait qu’il n’était pas naturellement chanceux. Mais le temps passait et la tristesse l’accompagnait.

         Le lendemain, tôt le matin, placardé sur la porte en verre de la boulangerie, il eut la surprise de voir le message suivant : « Aujourd’hui, dans la galette des rois, fève magique. A gagner : une journée de rêve. » Il rigola. « Alors Pascal, tu vas prendre un bout de galette ? lui demanda gaiement la boulangère ? 
   Pour avoir une journée magique ? Ah, ça non ! 
   Tu as tort, allez laisses toi tenter. Tu paieras ce soir. 
   Dans ce cas je ne paierais que si ma journée a été magique. 
   Entendu. Allez, choisis ! »
A côté de lui, se trouvait une jeune fille de son âge. Elle suivait la scène avec attention. « Choisis bien, Pascal, lui suggéra-t-elle. C’est important ! » Il prit une part de galette et la dégusta. Dedans il y avait une fève : « C’est peut-être la fève magique ! S’enthousiasma la boulangère. 
   Sûrement, oui ! répondit-il, moqueur, en haussant les épaules. Je ne suis
plus un bébé. »
 « Donne-la-moi, lui dit la boulangère. Je vais la nettoyer. » Il lui remit la fève qu’elle passa sous l’eau. Elle la frotta bien et la rangea dans un petit sac pour bonbons. Pascal tendit la main, le récupéra en souriant et le rangea dans la poche de son manteau. « Et toi au fait, tu veux peut-être une part de galette ? demanda la boulangère à la jeune fille. 
   Oh non, surtout pas. Je ne supporte pas la frangipane. 
   Bon ! je m’en vais. Au revoir, A ce soir ! lança Pascal. 
   Au revoir ! bonne journée, lui répondit la boulangère. 
   Bonne journée Pascal ! poursuivit la jeune fille. »
Et il se dirigea vers la porte. Son portable sonna. Il baissa la tête au moment où il mettait la main dans sa poche pour l’attraper, sans cesser de marcher. Il se prit la porte dans la figure. « Allo Pascal, c’est Maman. Tu as oublié ta trousse de crayons sur ton lit. 
   Ah flûte ! bon, tant pis j’en emprunterais à quelqu’un. »
Et il sortit de la boulangerie en courant pour essayer d’attraper son bus qui passait dans la rue. Il le rata.
         Il arriva en retard à l’école et comme il rentrait dans la salle de cours, son professeur de géographie lui demanda : «  Alors Pascal, que se passe-t-il ? On est en retard ? On veut aller faire un tour chez le proviseur ? »
Pris de panique, le jeune homme mentit et dit n’importe quoi. « C’est le bus qui a crevé j’ai été obligé de prendre le suivant. Et il y a eu des embouteillages… 
   Il n’y a pas que le bus qui est crevé à ce que je vois. Allez va à ta place. »
Puis il s’adressa à la classe : « Aujourd’hui interrogation surprise. Vous me parlerez de la révolution française. Je vous laisse toute liberté pour aborder le sujet. »
Il y eut des soupirs et des protestations. Mais le maître se montra inflexible. Bien sûr, Pascal n’avait pas révisé.
A dix heures, la classe avait une heure de mathématiques. Pascal n’était pas bon en mathématique. En plus, il n’aimait pas cette matière. Alors, il essayait toujours de se faire tout petit, afin que le professeur ne le remarque pas. Pourtant, ce jour-là, pour la première fois de l’année, ce dernier l’appela au tableau. En tremblant, la mort dans l’âme, il se leva et, tel un condamné qui va à l’échafaud, il monta sur l’estrade. Le professeur lui demanda de lui rappeler les règles d’utilisation des puissances d’exposants entiers  relatifs. Pascal s’embrouilla, bafouilla mais réussit cependant à en énoncer une. Tout cela ne fut cependant pas très convaincant et il eut la note de sept sur vingt. « Je sais que tu travailles lui dit le professeur. Mais il faudra bien un jour que tu ais des résultats. Je ne pourrais pas être toujours indulgent avec toi. Retourne à ta place. » La tête baissée, marchant entre les rangés de table des élèves bien content d’avoir échappés à l’épreuve, il se dirigea vers sa chaise. Drôle de journée.
L’heure suivante, il n’avait pas cours. Il se rendit donc en permanence où l’attendait le surveillant le plus sévère du collège, un boxeur. Avec lui, pas question de plaisanter : Il vous collait aussi sec. Avec son voisin, Pascal parlait du denier film qu’il avait vu à la télévision la veille au soir et qu’il avait beaucoup aimé. Emporté par son enthousiasme, il ne se rendit pas compte qu’il avait haussé le ton. Le boxeur se gratta la gorge. Pascal ne s’en rendit pas compte. Puis le boxeur ouvrit le tiroir de son bureau et referma brusquement ce dernier. Le brusque claquement fit sursauter tout le monde, mais pas le jeune garçon qui ne s’en aperçut pas et continua à parler de plus en plus fort. Enfin, le boxeur, de sa grosse voix caverneuse s’adressa à lui. « Pascal vous êtes collé. Vous viendrez une heure mercredi matin. 
   Mais pourquoi ? s’étonna le jeune garçon. 
   En plus vous faites le malin. Deux heures. »
Pascal n’osa pas protesté et accepta avec tristesse et énervement sa punition injuste.
A midi, il n’y avait que des aliments qu’il n’aimait pas. Il mangea tout de même. Décidément, Il avait hâte que cette journée se termine.
Au cours de la récréation,  il se fit bousculer par une grosse brute qui lui dit qu’il n’aimait pas les idiots et les lâches. Pascal se défendit tant bien que mal mais l’autre était vraiment plus fort. Il se trouva à terre, humilié, sous le regard des filles qui apprécièrent grandement ce beau spectacle. Pascal se retira dans un coin. Il avait envie de pleurer mais ne le fit pas. Il était fier.
Puis, Vers quatorze heures, il se rendit au gymnase pour le cours de sport. Il se dit qu’il allait enfin pouvoir souffler un peu. Il se rappela alors de la fève qu’il avait dans la poche et malgré lui il sourit. Ce n’était sûrement pas la fève magique qu’il avait eu ce matin. Ça, c’était bien la seule certitude qu’il pouvait avoir dans cette journée ratée. Au cours d’un match de handball, il se prit le ballon dans la figure et ne s’en étonna même pas. Il eut mal cependant.
Le soir, fatigué, découragé il monta dans le bus en redoutant que celui-ci ne prenne feu ou n’explose. Miraculeusement, il ne se passa rien pendant le trajet du retour. Pascal en conçut quelques craintes et se dit que ce n’était pas normal et qu’ils allaient avoir un accident. Mais non, il arriva sans encombre à destination. Il descendit du bus et se dirigea vers la boulangerie. Il poussa difficilement la porte et faiblement il dit bonsoir à la boulangère. La jeune fille du matin était là. « Alors, cette journée ? lui demanda la femme ? 
   Eh bien, ce n’est pas ce soir que je paierais ma part de galette. Vous devriez même m’en offrir une autre, pour compenser. C’était une journée horrible ! la pire que j’ai vécu depuis bien longtemps. 
   Oh ! c’est vrai ? Pourtant je croyais… 
   Tu as du mal choisir dit tristement la jeune fille. Moi, qui n’en ai pas mangé j’ai eu une journée formidable ! Une fille de ma classe, dont la mère est voyante m’a tiré les cartes aujourd’hui. Et elle m’a dit que je rencontrerais bientôt l’homme que j’aimerais. Je suis si heureuse !  
   Ah ! ces filles ! pensa Pascal. Toutes les mêmes décidément. 
   Tu seras là demain soir, Pascal ? lui demanda-t-elle. 
   Oui bien sûr, comme chaque jour, à la même heure. 
   Alors à demain. Au revoir Pascal, au revoir madame. »
Heureuse, elle quitta le magasin. Pascal ne le savait pas encore mais il venait de rencontrer celle qui allait devenir, au fil des années, la femme de sa vie.