Ces histoires bien sûr sont enregistrées à La Société Des Gens de Lettres, à Paris. Vous ne pouvez donc les utiliser qu'avec mon accord. Merci de votre compréhension.

samedi 18 avril 2015

La fève



La fève

Joseph était un boulanger à la Alphonse Daudet : Petit, trapu, le ventre portant bien en avant, les cheveux blanchis par toute une vie passée à manipuler la farine, il était heureux de vivre et trouvait dans son métier toute la joie dont il avait besoin. Il vendait son pain avec sa femme dans un quartier de Lyon et les clients, nombreux et fidèles se pressaient chaque jour dans leur magasin, remerciant souvent le couple pour la qualité de sa marchandise et de son accueil. Car ils étaient sympathiques ces deux amoureux. Ce n’étaient pas vraiment des plaisantins, car ils avaient un peu passé l’âge du calembour, mais toujours, ils se montraient chaleureux, prévenants et avaient su garder, malgré le succès de leur affaire, une authentique modestie et une vraie âme d’enfant. Les clients le leur rendaient bien d’ailleurs. Ainsi, ils n’hésitaient pas à leur confier leurs joies et leurs peines, leurs réussites et leurs échecs, trouvant auprès de ces deux affectueuses personnes une écoute attentive et compréhensive. La boulangère assurait la vente des pains toute la journée tandis que son mari qui avait travaillé toute la nuit se reposait pendant quelques heures. Bien sûr, à la fin de la journée elle était fatiguée, mais elle gardait le sourire, même pour ses deniers clients.
C’est en fin de journée que passait Pascal. Un garçon taciturne, pas très bavard mais qui appréciait grandement cette rencontre quotidienne: « Bonjour madame, vous allez bien ? 
   Bien ! et toi ? 
   Ça va, j’ai bien travaillé à l’école! 
   C’est bien. Je te donne ta baguette et je te mets un croissant de côté pour demain matin ? 
   Oui bien sûr. Allez à demain ! 
   A demain. »
Il payait son dû et rentrait chez lui, non loin de là.
         Il habitait seul avec son père et sa mère. Ils étaient très gentils, ne roulaient pas sur l’or, mais la famille avait de quoi vivre décemment. Le soir ils regardaient la télévision. Pascal avait treize ans et peu d’amis. Mais c’était des amis fidèles sur lesquels il pouvait compter. Quant aux filles, c’était bien simple, elles ne le regardaient même pas. Il était timide, travailleur mais pas très doué et pas bien beau. Cela suffisait à le mettre totalement hors de la course des prétendants et ça lui faisait de la peine. Il se désespérait souvent de cette vie de sauvage comme il disait, qui lui était imposée. Mais il n’avait pas renoncé à trouver une vraie copine même s’il estimait qu’il n’était pas naturellement chanceux. Mais le temps passait et la tristesse l’accompagnait.

         Le lendemain, tôt le matin, placardé sur la porte en verre de la boulangerie, il eut la surprise de voir le message suivant : « Aujourd’hui, dans la galette des rois, fève magique. A gagner : une journée de rêve. » Il rigola. « Alors Pascal, tu vas prendre un bout de galette ? lui demanda gaiement la boulangère ? 
   Pour avoir une journée magique ? Ah, ça non ! 
   Tu as tort, allez laisses toi tenter. Tu paieras ce soir. 
   Dans ce cas je ne paierais que si ma journée a été magique. 
   Entendu. Allez, choisis ! »
A côté de lui, se trouvait une jeune fille de son âge. Elle suivait la scène avec attention. « Choisis bien, Pascal, lui suggéra-t-elle. C’est important ! » Il prit une part de galette et la dégusta. Dedans il y avait une fève : « C’est peut-être la fève magique ! S’enthousiasma la boulangère. 
   Sûrement, oui ! répondit-il, moqueur, en haussant les épaules. Je ne suis
plus un bébé. »
 « Donne-la-moi, lui dit la boulangère. Je vais la nettoyer. » Il lui remit la fève qu’elle passa sous l’eau. Elle la frotta bien et la rangea dans un petit sac pour bonbons. Pascal tendit la main, le récupéra en souriant et le rangea dans la poche de son manteau. « Et toi au fait, tu veux peut-être une part de galette ? demanda la boulangère à la jeune fille. 
   Oh non, surtout pas. Je ne supporte pas la frangipane. 
   Bon ! je m’en vais. Au revoir, A ce soir ! lança Pascal. 
   Au revoir ! bonne journée, lui répondit la boulangère. 
   Bonne journée Pascal ! poursuivit la jeune fille. »
Et il se dirigea vers la porte. Son portable sonna. Il baissa la tête au moment où il mettait la main dans sa poche pour l’attraper, sans cesser de marcher. Il se prit la porte dans la figure. « Allo Pascal, c’est Maman. Tu as oublié ta trousse de crayons sur ton lit. 
   Ah flûte ! bon, tant pis j’en emprunterais à quelqu’un. »
Et il sortit de la boulangerie en courant pour essayer d’attraper son bus qui passait dans la rue. Il le rata.
         Il arriva en retard à l’école et comme il rentrait dans la salle de cours, son professeur de géographie lui demanda : «  Alors Pascal, que se passe-t-il ? On est en retard ? On veut aller faire un tour chez le proviseur ? »
Pris de panique, le jeune homme mentit et dit n’importe quoi. « C’est le bus qui a crevé j’ai été obligé de prendre le suivant. Et il y a eu des embouteillages… 
   Il n’y a pas que le bus qui est crevé à ce que je vois. Allez va à ta place. »
Puis il s’adressa à la classe : « Aujourd’hui interrogation surprise. Vous me parlerez de la révolution française. Je vous laisse toute liberté pour aborder le sujet. »
Il y eut des soupirs et des protestations. Mais le maître se montra inflexible. Bien sûr, Pascal n’avait pas révisé.
A dix heures, la classe avait une heure de mathématiques. Pascal n’était pas bon en mathématique. En plus, il n’aimait pas cette matière. Alors, il essayait toujours de se faire tout petit, afin que le professeur ne le remarque pas. Pourtant, ce jour-là, pour la première fois de l’année, ce dernier l’appela au tableau. En tremblant, la mort dans l’âme, il se leva et, tel un condamné qui va à l’échafaud, il monta sur l’estrade. Le professeur lui demanda de lui rappeler les règles d’utilisation des puissances d’exposants entiers  relatifs. Pascal s’embrouilla, bafouilla mais réussit cependant à en énoncer une. Tout cela ne fut cependant pas très convaincant et il eut la note de sept sur vingt. « Je sais que tu travailles lui dit le professeur. Mais il faudra bien un jour que tu ais des résultats. Je ne pourrais pas être toujours indulgent avec toi. Retourne à ta place. » La tête baissée, marchant entre les rangés de table des élèves bien content d’avoir échappés à l’épreuve, il se dirigea vers sa chaise. Drôle de journée.
L’heure suivante, il n’avait pas cours. Il se rendit donc en permanence où l’attendait le surveillant le plus sévère du collège, un boxeur. Avec lui, pas question de plaisanter : Il vous collait aussi sec. Avec son voisin, Pascal parlait du denier film qu’il avait vu à la télévision la veille au soir et qu’il avait beaucoup aimé. Emporté par son enthousiasme, il ne se rendit pas compte qu’il avait haussé le ton. Le boxeur se gratta la gorge. Pascal ne s’en rendit pas compte. Puis le boxeur ouvrit le tiroir de son bureau et referma brusquement ce dernier. Le brusque claquement fit sursauter tout le monde, mais pas le jeune garçon qui ne s’en aperçut pas et continua à parler de plus en plus fort. Enfin, le boxeur, de sa grosse voix caverneuse s’adressa à lui. « Pascal vous êtes collé. Vous viendrez une heure mercredi matin. 
   Mais pourquoi ? s’étonna le jeune garçon. 
   En plus vous faites le malin. Deux heures. »
Pascal n’osa pas protesté et accepta avec tristesse et énervement sa punition injuste.
A midi, il n’y avait que des aliments qu’il n’aimait pas. Il mangea tout de même. Décidément, Il avait hâte que cette journée se termine.
Au cours de la récréation,  il se fit bousculer par une grosse brute qui lui dit qu’il n’aimait pas les idiots et les lâches. Pascal se défendit tant bien que mal mais l’autre était vraiment plus fort. Il se trouva à terre, humilié, sous le regard des filles qui apprécièrent grandement ce beau spectacle. Pascal se retira dans un coin. Il avait envie de pleurer mais ne le fit pas. Il était fier.
Puis, Vers quatorze heures, il se rendit au gymnase pour le cours de sport. Il se dit qu’il allait enfin pouvoir souffler un peu. Il se rappela alors de la fève qu’il avait dans la poche et malgré lui il sourit. Ce n’était sûrement pas la fève magique qu’il avait eu ce matin. Ça, c’était bien la seule certitude qu’il pouvait avoir dans cette journée ratée. Au cours d’un match de handball, il se prit le ballon dans la figure et ne s’en étonna même pas. Il eut mal cependant.
Le soir, fatigué, découragé il monta dans le bus en redoutant que celui-ci ne prenne feu ou n’explose. Miraculeusement, il ne se passa rien pendant le trajet du retour. Pascal en conçut quelques craintes et se dit que ce n’était pas normal et qu’ils allaient avoir un accident. Mais non, il arriva sans encombre à destination. Il descendit du bus et se dirigea vers la boulangerie. Il poussa difficilement la porte et faiblement il dit bonsoir à la boulangère. La jeune fille du matin était là. « Alors, cette journée ? lui demanda la femme ? 
   Eh bien, ce n’est pas ce soir que je paierais ma part de galette. Vous devriez même m’en offrir une autre, pour compenser. C’était une journée horrible ! la pire que j’ai vécu depuis bien longtemps. 
   Oh ! c’est vrai ? Pourtant je croyais… 
   Tu as du mal choisir dit tristement la jeune fille. Moi, qui n’en ai pas mangé j’ai eu une journée formidable ! Une fille de ma classe, dont la mère est voyante m’a tiré les cartes aujourd’hui. Et elle m’a dit que je rencontrerais bientôt l’homme que j’aimerais. Je suis si heureuse !  
   Ah ! ces filles ! pensa Pascal. Toutes les mêmes décidément. 
   Tu seras là demain soir, Pascal ? lui demanda-t-elle. 
   Oui bien sûr, comme chaque jour, à la même heure. 
   Alors à demain. Au revoir Pascal, au revoir madame. »
Heureuse, elle quitta le magasin. Pascal ne le savait pas encore mais il venait de rencontrer celle qui allait devenir, au fil des années, la femme de sa vie.


        



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