Ces histoires bien sûr sont enregistrées à La Société Des Gens de Lettres, à Paris. Vous ne pouvez donc les utiliser qu'avec mon accord. Merci de votre compréhension.

samedi 30 mai 2015

La petite montre


La petite montre

Il était une fois, un joaillier qui était si habile de ses mains, qui faisait de si belles créations, que l’on venait de partout pour admirer ses œuvres. On venait d’Allemagne, de Russie.  On prenait le bateau pour venir d’Angleterre, malgré les tempêtes et les monstres marins, et certains même, faisaient le voyage depuis la Papouasie, au péril de leur vie. On pouvait, si on le voulait, le regarder travailler. Mais pour cela il fallait payer très cher et ainsi il n’y avait que les riches qui pouvaient admirer le spectacle. Et c’était un fameux spectacle ! On peut le dire ! Il fallait le voir jouer avec les émeraudes, manipuler le verre chaud et sertir les plus beaux diamants... Comme tout cela était beau ! Les pauvres connaissaient l’existence de ce monsieur mais bien entendu ils ne l’avaient jamais vu, car ils n’avaient pas d’argent.
         Le roi n’y tenant plus, lui qui voulait être le plus riche de tous, se dit qu’un jour il faudrait qu’il ait aussi un bijou de cet artisan. Beaucoup de nobles dans son château possédaient déjà le leur. «  Il n’y a pas de raison pour que moi, le roi, je ne porte pas une de ces fantaisies, se dit-il. » Alors il prit sa décision. Il irait trouver l’artisan. Il réfléchit longtemps pour savoir ce qu’il voulait puis il choisit de commander une petite montre sur laquelle seraient gravés, au dos, ses initiales et son blason. Le joaillier, qui voulait être bien vu du roi, travailla jour et nuit. Et un matin...
         « Ah ! Enfin... Je suis terminée se dit la petite montre. Ce n’est pas trop tôt... Je commençais à désespérer que mon créateur puisse me finir... Mon mécanisme est si délicat et si compliqué. Mais maintenant je suis là. Je vais enfin faire mon apparition dans le monde. Comme les gens doivent m’attendre, comme ils doivent être impatients. » Et c’est vraiment cela qu’elle pensait. Le roi reçut l’œuvre et vérifia qu’elle était correctement gravée : « Tu enverras la facture à mon ministre des finances dit-il à l’artisan. J’espère pour toi que cette belle pièce fonctionnera bien !
  Oh, mon roi, n’ayez crainte ! répondit ce dernier. Elle est parfaite ! »
« Bien sûr, je suis parfaite, pensa la petite montre. Qui en douterait ? »
         Le roi présenta le bijou à la cour. Tous applaudirent et louèrent sa beauté. « Ainsi voilà mon destin, se dit-elle. Je donnerai l’heure au plus puissant des monarques et toutes les horloges, toutes les montres du royaume, indiqueront la même heure que moi. Même le temps du monde sera réglé sur le tic-tac de mes aiguilles car le joaillier m’a créée parfaite. »
        
Au début, le roi arborait fièrement sa montre qu’il portait au bout d’une petite chaîne en or et qu’il rangeait dans la poche avant de son habit. Lorsqu’un courtisan le croisait, ce qui arrivait sans arrêt dans le palais, ce dernier lui demandait :
«  Sa majesté peut-elle me donner l’heure ? »
Alors le roi sortait sa montre et disait : Onze heures et quinze minutes par exemple. Puis le courtisan répondait pour se faire bien voir :
« Oh ! Ma montre déraisonne ! Un peu plus et je me mettais en retard ! Et il réglait sa montre. Permettez-moi de vous remercier, ajoutait-il enfin. Et il s’en allait heureux parce qu’il avait fait plaisir au roi.
         Mais le roi se lassa de sa montre. Bientôt il ne l’aima plus. Il ne le dit à personne,  car il ne voulait pas que les gens crussent qu’il ne s’intéressait plus à un bijou créé par le plus grand artisan du royaume : Il avait peur qu’on dise de lui qu’il n’avait aucun goût. Alors, toute la journée, il continuait à donner l’heure sans joie et avec un agacement qu’il avait du mal à cacher. Mais, quand venait le soir, quand il était seul dans sa chambre, il disait : «  Au diable cette montre ! J’en ai assez de donner l’heure toute la journée ! » Et il la rangeait au fond d’un tiroir. La petite montre se rendit compte que le roi ne l’aimait plus comme avant. Elle en fut très triste pourtant elle réagit avec orgueil : «  Puisque c’est comme cela, je vais lui montrer comme je suis forte... » Et elle se mit en devoir de ralentir le ronde de ses aiguilles pour freiner, pensait-elle, le mouvement du monde. Cela n’est pas facile pour un homme de ralentir les battements de son cœur, (certains, comme les yogis en Inde,  y arrivent cependant), il en est de même pour une montre. Elle fit des efforts, beaucoup d’efforts, et finalement, le premier jour, elle retarda d’un quart d’heure. « Ainsi, se disait-elle, il finira par m’aimer car il verra que je suis forte ! »
La première personne que le roi rencontra lui demanda, comme d’habitude : « Sa majesté peut-elle me donner l’heure ? » Et celui-ci répondit : « Onze heures et quinze minutes. » Mais bien sûr ce n’était pas la bonne heure. La surprise fut telle pour le courtisan qu’il se dit : « Ca-y-est ! Je suis devenu complètement fou... » Car il ne pensait pas que la petite montre puisse retarder. Alors, dépité, il s’éloigna la tête baissée, persuadé qu’il finirait sa vie sans sa raison. D’autres courtisans firent la même découverte dans la journée mais ils n’en parlèrent pas entre eux, chacun pensant que sa propre montre avançait.
Le soir, le roi remit la petite montre dans son tiroir et celle-ci était en colère d’être ainsi délaissée. «  Cela ne va pas se passer comme ça ! » Alors elle fit encore plus d’efforts pour retarder.
Le lendemain, les mêmes rencontres se répétèrent au cours desquelles les courtisans constatèrent un décalage de trois quarts d’heure. Et le roi, qui croyait qu’il était midi, se présenta au repas avec du retard, si bien que les cuisseaux de chevreuil étaient plus que cuits dans la grande cheminée.
Deux jours plus tard, il se présenta à la cuisine et là, les cailles rôties avaient bel et bien brûlé. Le cuisinier, désespéré, les avait cependant disposées dans des assiettes, sur la longue table en bois mais le spectacle était pitoyable. Il tremblait de tous ses membres. « Pouvez-vous m’expliquer cela ?! S’énerva le roi, en montrant les cailles » Il était d’autant plus en colère qu’il adorait ces oiseaux  roulés dans du lard, nappés de miel, et farcis de raisins secs, comme elles étaient préparées ce jour. « Je ne sais que vous dire, bredouilla le cuisinier, Car bien sûr il ne voulait pas dire que le roi était en retard !
  Très bien. Il sortit la petite montre de sa poche. Il est midi, (mais en vérité, il était deux heures de l’après-midi), et il n’y a plus rien de mangeable ici. Que comptez-vous faire ?
Les personnes présentes étaient pétrifiées. Aucune n’osait lui dire la vérité. Soudain le fou du roi surgit : « Mon roi est en colère et il a bien raison. Mais ne blâmez pas ces braves gens et il fit une cabriole. Le coupable se trouve...
  C’est moi ! C’est moi ! essayait de dire la petite montre qui croyait que le roi serait fier d’elle.
  Le coupable se trouve dans votre poche.
  Dans ma poche ? fit le roi. Il n’y a que ma montre dans ma poche.
  Oui...Elle retarde s’enhardit le cuisinier. Et comme c’est dommage soupira-t-il, elle est si belle...
  Une montre qui retarde. En êtes-vous sûr ?
  Oui, répondirent avec soulagement les personnes présentes. Car elles n’en pouvaient plus de mentir toute la journée.
  Si elle retarde alors je te la donne dit-il au cuisinier. »
 Et ce dernier, étonné et très content prit possession de la petite montre.

         Elle eut vraiment peur lorsque le roi s’en alla en la laissant dans la pièce. « Que va-t-il faire de moi se demandait-elle ? Et s’il me jette, me casse ou m’oublie dans un coin ? » Mais le cuisinier, vraiment heureux de ce cadeau, avait d’autres projets. Il lui expliqua : « Si tu cesses de retarder, tu pourras m’être très utile pour faire la cuisine. Alors je te bichonnerai, je prendrai bien soin de toi et grâce à toi, le roi m’aimera beaucoup. » Alors, rassurée, elle se remit à l’heure. Pour faire un soufflé, laisser mijoter un bœuf bourguignon, faire des œufs mollets à point, elle n’eut bientôt pas sa pareille pour donner le temps de cuisson. Car, choyée, elle était heureuse. Et tout le monde sait que pour donner le meilleur de soi-même, il faut être heureux.
« Comme je suis contente se réjouissait-elle ! Certes, je n’appartiens plus au roi mais ne lui suis-je pas plus utile aux cuisines ? Grâce à moi, il mange de bons plats tous les jours. Ainsi il est en bonne santé et il dirige le royaume comme il faut. »
Mais un jour, la femme du cuisinier vînt à mourir d’une maladie inconnue. Elle souffrit longtemps et son mari consulta les plus grands médecins. Mais il ne put pas la sauver. Alors, celui-ci, terrassé par le chagrin, se mit à boire. Un petit peu pour commencer et bien vite, il but trois litres de vin par jour. Il buvait dès le petit déjeuner, puis à dix heures puis à midi et ainsi toute la journée. Alors il n’arriva plus à faire correctement son travail et, lorsqu’il regardait la petite montre, il voyait, comme il était saoul, tourner le cadran de cette dernière. Il lui semblait que ses aiguilles avançaient trop vite ou trop lentement. Il s’énervait après elle et un jour, fou de rage, il la jeta dans la marmite de soupe. « Gloup ! Fit la petite montre. Tic gloup, tac gloup ! » Et ses aiguilles arrêtèrent de tourner. Il l’abandonna à son triste sort et partit se coucher.
L’apprenti cuisinier, discrètement, la récupéra. Il l’attrapa dans la marmite avec une louche, l’essuya et dit : « S’il n’en veut plus, moi je la trouve très belle. Alors je la prends ! » Il la rapporta chez le joaillier. Celui-ci la garda une semaine et demanda très cher au pauvre apprenti pour les réparations. Mais, en vérité, l’artisan ne répara rien du tout. Il se contenta de la nettoyer et de la laisser sécher, car il s’était dit qu’ainsi il pourrait récupérer quelques sous. Ses mains étaient habiles mais il perdait toute sa raison lorsqu’il s’agissait de gagner de l’argent. L’apprenti ne pouvait pas payer alors il la laissa à l’artisan.

« Que va-t-il advenir de moi, se demanda la petite montre ? Me voici revenue à mon point de départ...
  Voilà une bonne affaire, se réjouit le joaillier. Je vais pouvoir la vendre une deuxième fois ! Et il se frotta les mains »
Et il la vendit à une dame qui marchanda longtemps avant de l’acheter. La dame la rapporta chez elle. « Me voilà de nouveau partie... Se désespérait la petite montre. Où cela va-t-il me conduire ? Vraiment je me demande pourquoi personne ne veut me garder... »
La dame était l’amie d’un marin. Elle lui fit cadeau de la montre.
L’homme était un vieux loup de mer avec barbe, casquette et tatouages. Il était connu dans tout le royaume pour son courage et son insatiable curiosité. Il avait déjà parcouru toutes les mers du globe, dans tous les sens puis, avançant dans l’âge, il s’était fixé dans une petite ferme où il cultivait ses légumes et élevait deux lapins et trois poulets. Mais il s’ennuyait... Cependant, un autre grand voyageur, Marco di  Meglio déclara, un soir, pour s’amuser, à l’issue d’un repas un peu trop arrosé, que la terre était triangulaire plutôt que ronde. Ce dernier était très aimé dans le royaume et sa parole comptait. Alors, ses propos furent pris très au sérieux et bientôt cette idée se répandit. Partout, on vit fleurir des groupes défendant  la forme triangulaire de la terre, certains bannirent le cercle de leur vie. On construisit des charrettes avec des roues en triangles. Marco eut beau expliquer qu’il avait plaisanté mais rien n’y fit. Un sage dit toujours la vérité pensait-on, même s’il est enivré. Le vieux loup de mer, qui n’en pouvait plus de cultiver son jardin, vit là un signe du destin. Il proposa au roi de monter une expédition maritime pour confirmer ou infirmer les dires de Marco. Le roi ne connaissait pas grand-chose à la géographie : Il accepta. Il espérait ainsi recevoir au retour du marin des présents du monde entier qui viendraient enrichir sa collection. « Un marin ! Se dit la petite montre. Ainsi je vais voyager ! Quelle chance ! Bien sûr je vais être obligée de quitter mon pays, le roi, le cuisinier et toute la cour. J’espère qu’ils ne seront pas trop tristes de me voir partir. Mais puisque tel est mon destin... »

Et pour voyager, elle voyagea. En bateau, elle alla jusqu’au Brésil. Le marin, qui était tombé malade au cours du voyage, l’offrit en offrande à la statuette « du petit berger noir. » Un petit garçon vénéré comme un saint dans ce pays. De cette façon, le marin espérait guérir et c’est ce qui arriva. Il partit sans la petite montre. Mais un voleur qui passait par là l’emporta discrètement et finalement l’échangea contre un beau couteau. Son nouveau propriétaire, qui étudiait l’alchimie, partit en Bolivie. Il descendit dans les mines si dangereuses de ce pays espérant y trouver le minerai qui lui permettrait d’acquérir la pierre philosophale qui transforme le plomb en or. Cette pierre est recherchée depuis la nuit des temps par tous les alchimistes. Mais on ne l’a pas encore découverte. L’homme qui perdit tout son argent vendit la petite montre pour manger. Elle arriva au Chili. De là, elle reprit le bateau à travers l’océan pacifique et séjourna quelques temps chez un samouraï japonais qui se fit hara-kiri car il avait volé un de ses amis. Ce dernier prit la petite montre dans sa poche et l’emmena jusqu’en Chine où il la donna à un vieux moine qui vivait à l’écart du bruit de la civilisation afin que ce dernier honore la mémoire de son camarade disparu. Le vieux moine cherchait la voix de la sagesse par la méditation et la lecture des enseignements de Confucius. Là, la petite montre put se reposer. Elle aussi se mit à méditer sur le temps qui passe et le pourquoi des évènements. « Il y a trois ans, sept mois et six jours que j’ai quitté mon pays. J’y retournerais bien volontiers aujourd’hui. Mais hélas, je ne peux que subir. Je n’ai ni bras, ni jambes. Toute seule je n’irais pas loin. » La solitude finit par peser sur le moine qui, un matin, se réveilla brusquement et décida que maintenant, il pouvait rejoindre le monde des hommes. Il partit, la petite montre en poche. Il arriva bientôt au village le plus proche, demanda l’hospitalité et pour toute réponse reçut un coup sur la tête qui l’assomma. Un marchand qui passait là, lui fit les poches et lui déroba la petite montre. Avec elle, il partit au Tibet. Elle traversa, à dos de yack les grandes steppes balayées par le vent, où il fait si froid l’hiver et entama, par des températures glaciales, une remontée vers la Sibérie, à travers la Russie. Elle pensait : « Comme ce voyage est dur ! Il n’en finit pas. Qu’ai-je fait pour mériter cela ? Vraiment, je donnerais tout pour que cela se termine. » Et en disant cela, elle essayait de ne pas arrêter ses aiguilles qui tournaient, car elle avait peur d’être abandonnée dans le grand Nord, dans le blizzard, ce vent si terrible qui souffle sur la toundra.

Par hasard, ils rencontrèrent un homme assis près d’une grosse bête poilue et congelée, posée sur un traîneau. « Bonjour, fit le marchand...
  Bonjour, fit l’homme...
  Quelle est cette grosse bête !
  Je l’ai trouvé dans le sol pas loin d’ici. C’est un mammouth. Il est beau non ?
  C’est vrai, lui répondit le marchand.
  Je te le vends. Tu me donnes combien pour ce mammouth ? »
À ces mots, la petite montre trembla. « Oh non ! s’écria-t-elle, je ne vais tout de même pas être échangée encore une fois ! Alors elle se mit à pleurer. Elle était désespérée. Je veux rentrer chez moi. Je veux rentrer chez moi ! disait-elle entre deux sanglots. »
« Qu’as-tu dans tes poches ? demanda le vendeur de mammouth.
  Eh bien, quelques sous et cette petite montre.
  Pas mal, dit le vendeur. Si tu me la donnes, je te donne mon mammouth.
  Non ! essayait de crier la petite montre. Et elle pleurait, elle pleurait ! Elle ne pouvait plus s’arrêter.
  Et pourquoi je prendrais ton animal ? Cela me servirait à quoi ?
  C’est précieux, un mammouth lui répondit le vendeur. C’est très vieux. Plusieurs dizaines de milliers d’années. Tous les rois du monde t’en donneront un bon prix. »
Le marchand hésitait. Allait-il échanger sa montre ? Cette dernière pleurait toujours. L’autre insistait. « Combien de petites montres vaut un mammouth ? » essayait d’estimer le marchand. « Mais si je gagne beaucoup d’argent avec l’animal ? Cela vaut peut-être le coup ? » Il resta ainsi de longues minutes à peser le pour et le contre. La petite montre était terrorisée Et, finalement, après s’être rendu compte qu’il serait très encombrant de le transporter, il dit : « Non merci, je ne veux pas de ton animal. Je garde ma montre.
  Comme tu voudras, lui répondit l’homme. Mais tu le regretteras. »
Le marchand salua le vendeur et repartit. La petite montre qui n’avait pas entendu les derniers mots de cette conversation ne se rendit compte qu’un peu plus tard qu’elle n’avait pas été échangée. Alors rassurée, elle sécha ses larmes.
         Elle arriva ensuite en Alaska avec le marchand qui avait traversé le détroit de Béring. Et elle se rappela du temps où elle croyait pouvoir arrêter la course du monde. « Comme tout cela est loin maintenant... » Elle soupira : elle était fatiguée.
         Un jour un homme demanda l’heure au marchand. C’était le marin à qui la dame avait donné la montre. Et qu’arriva-t-il ? Il reconnut tout de suite la petite montre et le blason du roi gravé sur son dos. Quel hasard ! Alors il la racheta car soudain, il ressentit à sa vue une grande nostalgie de son pays et il décida qu’il allait rentrer.
        
Trois mois plus tard, il était de retour dans le royaume et il se dit que la petite montre méritait une bonne révision. En effet, ce grand voyage avait terni son brillant. Alors il alla voir le joaillier qui lui redonna de l’éclat. Le roi qui passait par là, poussa la porte de la boutique et la reconnut également. Il demanda à l’artisan de la lui rendre. Celui-ci accepta. Et la petite montre se dit qu’enfin, elle était de retour à la maison. « Comme la vie est étrange... Lorsque je suis partie je voulais ralentir la course du temps mais aujourd’hui je sais que cela n’est pas possible. Mais tout ce voyage n’aura pas été vain car je suis heureuse maintenant. »

samedi 2 mai 2015

chez la coiffeuse



Chez la coiffeuse

Dans le salon.
« Bonjour madame Pâquerette ! 
   Bonjour madame la coiffeuse. 
   Alors que fait-on aujourd’hui ? La même coupe que samedi dernier ? 
   Oh oui ! vous me rafraîchissez un peu les pétales, juste ce qu’il faut. 
   Vous ne voulez pas quelque chose de plus dynamique ? de plus jeune, de plus branché ? Par exemple un léger effeuillage qui vous aérerait la corolle ? 
   Oh non ! surtout pas ! A mon âge on ne peut plus se permettre ce genre de fantaisie. J’aurais l’air stupide ! Non… Je veux quelque chose de classique. Mettez-moi en valeur. Vous savez si bien le faire. 
   Mais vous êtes encore jeune, madame pâquerette. Vous êtes toujours dans la fleur de l’âge. A propos comment vont vos petits-enfants ? 
   Ça pousse… »
A ce moment, une superbe créature, à la chevelure d’un rouge flamboyant, entra dans le salon. Consciente de sa beauté, l’air hautain, elle jeta un rapide coup d’œil dans la pièce afin de repérer une digne compagne à qui elle pourrait faire l’honneur de sa conversation. Mais il n’y avait là que madame Marguerite et comble de l’horreur, monsieur Pissenlit, ce quasi clochard, qui vivait parait-il dans un taudis. Non, vraiment, elle n’allait pas se mêler à eux. « Voilà encore cette Pimbêche de Rose. Elle m’énerve avec ses airs supérieurs. Et méchante avec ça ! Elle se prend pour qui ? 
   Oui, elle se croit terrible avec ses épines. »
Rose prit un magazine et s’installa dans un fauteuil. Soudain, On tapa au carreau. Dehors, un groupe de jeunes s’amusait à effrayer les clients. Le chef, un délinquant à la tête blanche en forme de petite clochette faisait des grimaces aux respectables personnes qui se trouvaient à l’intérieur. « Encore cette graine de voyou ! S’emporta la coiffeuse. Ces jeunes muguets sont infréquentables. Ils ne pensent qu’à mal. 
   Ils feraient mieux d’aller bosser ces petits fainéants. Ils pensent peut-être que sans rien faire, ils auront toujours tout dans la vie? Ce n’est pas de la sève qui coule dans leurs tiges mais du poison, reprit Madame Pâquerette. 
   Vous avez raison, reprit la coiffeuse. Puisque la police ne s’en occupe pas, on devrait se faire justice nous-même. On devrait se réunir une bonne fois pour toute afin de prendre les mesures pour régler le problème. Et si on fixait une date ? Disons, le premier mai prochain ? 
   D’accord ! On va leur faire leur fête !
        
       Dans sa cuisine, Joseph achevait le repas qu’il avait partagé avec sa famille. Claire et Delphine ses deux filles remercièrent Hélène, leur mère, pour le délicieux mijoté d’insecte qu’elle leur avait préparé. Joseph n’avait pas quitté son bleu de travail. Il n’avait qu’une heure de pause avant de retourner à la fabrique et préférait passer du temps avec les siens plutôt que de s’occuper de lui. Il avait tout de même enlevé sa casquette. Dans sa petite moustache, restait un bout de viande. « Il faut que tu t’essuies lui dit sa femme. Tu as quelque chose dans la moustache. » Il tendit les bras vers sa serviette et la passa sur son visage. Il se sentait bien, heureux. Il avait réussi à construire une belle vie à lui et à sa famille dans un bon nid douillet ou il faisait bon vivre. Ils ne manquaient de rien et vivaient en sécurité ce qui n’était pas rien dans ce monde vraiment hostile. Chaque jour il se battait pour améliorer son sort et il savait que ses congénères en faisaient de même.  Il était sûr de réussir. Claire demanda : «  Il y a du fromage ? 
   Non, hélas, lui répondit sa mère. 
   C’est dommage, j’en aurais bien mangé un bout. 
   Moi aussi ! renchérit Delphine. »
          Joseph était de bonne humeur. Il avait envie de faire plaisir à ses filles. Alors il se proposa d’aller en chercher chez les voisins d’en face. « Mais c’est dangereux ! S’effraya sa femme. Tu crois vraiment que cela vaut le coup de prendre tant de risques pour si peu ? 
   Allons n’ai pas peur, la rassura-t-il. Je me sens fort aujourd’hui. Je ne risque rien. Tu n’as pas confiance en ton homme ? 
   Si, bien sûr… »
Et il la serra dans ses bras. Il se rapprocha du trou qui leur servait d’entrée. Il prit une grande respiration et se lança en courant.
      
    A ce moment, un petit animal traversa le salon. Il était tout petit par rapport aux gigantesques fleurs et il courait vite.
« Qu’est-ce que c’est que cela ? S’effraya madame Pâquerette. »
Le petit animal essayait d’être le plus rapide possible. Une main sur sa casquette, le cœur haletant, dans sa petite moustache, il criait des paroles inaudibles pour les fleurs afin de se donner du courage. Il avait vraiment peur et se demandait si, comme l’avait dit sa femme, il était bien raisonnable d'affronter de tels danger pour un bout de fromage. Il eut bientôt atteint le mur d’en face.
« Mais qu’est-ce que c’est que cela ! répéta madame Pâquerette visiblement dégoutée. 
   On ne sait pas ce que c’est, répondit la coiffeuse. Ils sont apparus il y  a une trentaine d’années en ville. Au début, ils n’étaient pas nombreux mais ils se sont mis à pulluler. Maintenant, il y en a partout ! C’est une véritable invasion. Si nous n’y prenons pas garde, bientôt ils prendront notre place. 
   Quelle horreur ! s’étrangla madame Pâquerette. Alors il faudra bien s’en débarrasser ! »