Ces histoires bien sûr sont enregistrées à La Société Des Gens de Lettres, à Paris. Vous ne pouvez donc les utiliser qu'avec mon accord. Merci de votre compréhension.

mercredi 17 juin 2015

Le pacte



Le pacte

         Voici une histoire que l’on m’a racontée lorsque j’étais petit. Elle se passe en Mauritanie. Elle parle de l’amitié entre un homme et un dauphin et du curieux pacte qu’ils passèrent.

L’homme était pêcheur et chaque matin, il se rendait au bord de mer avec son filet rond lesté de poids. Il le lançait et ce dernier tombait au fond de l’eau, au-dessus des poissons. Alors l’homme tirait sur la corde et ainsi il refermait le piège et ramenait la pêche sur le sable. Il ne prenait pas beaucoup de poissons : Juste ce qu’il fallait pour les repas du midi et du soir et de quoi aller vendre quelques pièces sur le marché pour gagner un peu d’argent. En effet, il faut du sel, du poivre, de l’huile pour cuisiner et du sucre pour mettre dans le café le matin. Mais, me direz-vous, comment arrivait-il à attraper des poissons si près du rivage ? C’est là qu’intervient le dauphin…En effet, chaque jour ce dernier aidait son ami le pêcheur. Il venait du large, là où il y a des poissons et poussait ces derniers vers la plage en leur faisant peur. Ainsi, le pêcheur n’avait pas beaucoup d’effort à fournir pour réaliser une bonne prise. Franchement, je trouve merveilleuse une telle collaboration entre un homme et un animal. Qui n’a jamais rêvé un jour d’avoir un dauphin pour ami ?
         Et la vie s’écoulait paisiblement. L’homme avait des joies et des peines d’homme et le dauphin des joies et des peines de dauphin. L’homme n’avait pas toujours été pêcheur. Il avait travaillé à la mine pendant de longues, très longues années. Il y avait appris la douleur d’un métier mal payé et très dur, la douleur de l’effort injustement récompensé. Mais, il fallait qu’il nourrisse sa famille qui se limitait alors à sa femme et au père de cette dernière. Il n’avait pas le choix. C’est pour cela qu’il avait réussi à surmonter sa peine. A cette époque,  Il n’avait pas d’enfant. Lorsque son fils était né, il avait décidé de quitter la mine, mais il restait marqué : Il se reprochait bien souvent d’avoir vécu comme un esclave pendant que d’autres avaient la belle vie.
         Un jour, l’enfant tomba gravement malade. Le médecin déclara qu’il craignait le pire : il pouvait même mourir. Le pêcheur était très triste mais il alla tout de même à la plage. Parvenu en bord de  mer, il n’arriva pas à se concentrer. Il lançait son filet n’importe comment et ce jour-là, il ne ramena rien du tout. Le dauphin s’en aperçut, il se rapprocha du rivage et lui dit : « Que se passe-t-il ? Pourquoi n’arrives-tu pas à travailler aujourd’hui ? Je fais pourtant de mon mieux pour t’aider mais cela n’a pas l’air de suffire…
  Mon enfant est gravement malade. Je m’inquiète beaucoup…
  Ah ! dit le dauphin…Je comprends… »
Mais le chagrin, la révolte devant l’injustice de sa situation avaient énervé le pêcheur. Alors, pour la première fois, il s’emporta contre son ami. « Non, tu ne peux pas comprendre. Toi, tu es libre. Tu n’as pas besoin de travailler. Tes enfants se débrouillent tous seuls. Tu te promènes dans le vaste océan sans entrave ni chaîne. Seul ton désir te guide et tu n’as aucun effort à fournir pour trouver ta nourriture. Nous autres, les humains, nous sommes accablés de devoirs. Nous sommes responsables de nos enfants, nous devons trouver notre place dans la communauté et, même entourés de nos proches, bien souvent nous nous sentons seuls.
  Tu es injuste, lui répondit le dauphin. Que connais-tu de la vie d’un habitant des mers ? Comment sais-tu que, parfois, nous ne sommes pas nous-mêmes malheureux?
  Tu n’es qu’un animal lui répondit l’homme…Tu ne penses pas comme nous. »
Le dauphin fut très affecté par ces paroles blessantes. Alors il proposa au pêcheur : « Très bien, puisqu’il est si facile d’être un dauphin et si dur d’être un homme, je te propose que nous échangions nos places. Ainsi, nous pourrons comparer.
  Si tu veux lui répondit l’homme. De toute façon je n’ai rien à perdre. Cela me reposera. »

Ainsi, l’esprit du pêcheur entra dans le corps du dauphin et l’esprit du dauphin entra dans le corps de l’homme.
« Nous continuerons comme avant !
  je viendrai pêcher dit le dauphin.
  Et moi, je te rabattrai le poisson, dit l’homme. »

L’homme, dans le corps du dauphin, partit vers le large. Il se disait : « Quel bonheur que de pouvoir nager librement sous la surface de l’eau ! Il ne sait pas ce qu’il perd, mon ami le dauphin ! »
         Le dauphin, dans le corps de l’homme, se dirigea, guilleret, vers la demeure de ce dernier. Il se disait : « Je vais avoir une maison, avec une cheminée. Quel bonheur ! Il ne sait pas ce qu’il perd, mon ami le pêcheur ! »

         Le premier jour se passa pour tous les deux comme dans un rêve. Le dauphin vint comme promis lancer son filet et l’homme, un peu maladroitement au début, lui rabattit le poisson. Le soir, le dauphin rentra dans la maison du pêcheur et ce dernier, pour sa part, fit la connaissance d’autres dauphins car ces animaux aiment volontiers discuter. Bien sûr, aucun des deux ne dit un mot de leur curieux marché.

Le fils du pêcheur était malade, très malade. Le dauphin, qui lui-même avait eu un fils lorsqu’il était jeune, savait combien il est important pour les petits de se savoir aimés. Surtout lorsqu’ils sont souffrants. Alors, il lui prodigua toute la tendresse dont il était capable et le veilla tard dans la nuit. Il lui raconta les aventures des habitants des océans, les folles cavalcades à la surface de l’eau, la nuit au clair de lune, les grands voyages dans les îles du pacifique et la légende de la ville d'Ys, une grande légende de la mer,  de cette façon :
        
Le roi Gradlon, roi de Cornouaille, épousa Malgven, la reine du nord et tous deux eurent une fille qu’ils prénommèrent Dahut. Malgven mourut quelques temps après. Alors le roi construisit pour sa fille une ville au milieu des flots, la ville d'Ys. Elle était protégée par un épais rempart et seule une lourde porte en permettait l'accès. La clé était gardée par Gradlon. La princesse Dahut y faisait des fêtes tous les soirs et chaque nuit elle avait un nouveau fiancé qu'elle tuait au matin. Saint Guénolé exhortait Dahut à cesser sa vie de pécheresse. Mais elle ne l’écoutait pas. Un jour un chevalier arriva et refusa les avances de la princesse. Il lui dit: «  si tu me veux, ramène-moi la clé gardée par ton père. » Dahut fit ce qu'il demandait. La tempête faisait rage et le chevalier, avec la clé, ouvrit la porte de la ville. L'eau s'y engouffra et tout le monde périt noyé. Dahut s'enfuit avec son père, sur les flots, en chevauchant Morvarc'h "le cheval de mer" qui soufflait du feu par les naseaux. Saint Guénolé poussa la princesse dans les flots pour la punir et Dahut devint alors une sirène. Emerveillé par tous ces récits, l’enfant s’endormait, des rêves plein la tête et le dauphin soupirait en pensant à son propre petit qu’il n’avait pas vu depuis longtemps.

         Le pêcheur après avoir bien ri avec ses nouveaux amis se dit qu’il mangerait bien un petit anchois et partit à la recherche de son repas. Il nagea longtemps. D’abord lentement puis le plus rapidement possible. Il tournoyait sur lui-même, il faisait des bonds hors de l’eau, pour replonger aussitôt la tête la première et transpercer les flots comme une épée transperce un tissu. Le soleil brillait haut dans le ciel et la mer scintillait de mille feux. Quel plaisir il avait de se sentir ainsi filer telle une torpille ! La vitesse, la liberté le grisaient. Jamais il ne s'était senti aussi bien.  Il en oublia même de manger.
Le lendemain matin, ils se retrouvèrent au bord de la plage. « J’ai vu ton fils, il ne va pas très bien, dit le dauphin.
  Je sais, dit le pêcheur. Et il ajouta : Je n’en peux plus de tous ces malheurs. Comme tu dois être heureux de vivre dans les océans ! Oui, comme tu dois être heureux, lui répéta-t-il. Je te propose un autre marché. Restons comme cela : tant que mon fils sera malade, tu t’occuperas de lui et moi je pourrai me reposer.»
En écoutant cela, le dauphin pensa « Comment ! Il préfère jouer plutôt que de veiller son enfant. Mais, il reviendra, il faut être patient…
  D’accord ! dit le dauphin.
Le pêcheur bondit de joie hors de l’eau.
  Alors, au travail ! »
Il partit vers le large, repéra un banc de poissons et entreprit de le diriger vers le dauphin. La pêche fût bonne.

         Les jours suivant, l’état du petit garçon empira, alors le dauphin décida, que pour rester près de lui, il n’irait plus à la pêche. Il en informa l’homme qui déclara qu’il en profiterait pour faire des découvertes en haute mer. Trois jours passèrent, puis une semaine. Le dauphin faisait de son mieux au chevet du petit malade. Il le dorlotait, le cajolait, lui donnait de bonnes choses à manger. Malheureusement, le dauphin n’eut bientôt plus d’argent pour nourrir sa famille. Désespéré, il alla sur la plage et appela son ami. Mais celui-ci ne revenait pas. Alors il chercha du travail et le seul qu’on lui offrit fut dans la mine.
        
         Le pêcheur partit loin. Et ce voyage, pour lui qui n’avait jamais navigué, ni même quitté les alentours de son village fut, après l’allégresse des premières découvertes, une horrible révélation. Il faillit plusieurs fois être tué par les hélices des bateaux. Il avala un morceau de plastique en le prenant pour un poisson. Il évita de justesse d’être pris dans les immenses filets de plusieurs kilomètres de long que les chalutiers industriels déploient et qui ratissent le fond des mers, engloutissant tout sur leur passage. Ainsi, il découvrit la puissance des hommes qui détruisent la nature, vident les océans, éradiquent les espèces, les baleines, les ours, polluent les forêts et qui finira bien un jour par le tuer, lorsqu’il n’y aura même plus d’oiseaux dans les villes.
         Un autre danger le guettait, invisible : Un dauphin, en plus de ses yeux, peut se diriger par le son, comme les chauves-souris. Il envoie des ondes qui rebondissent sur l’obstacle et reviennent vers sa mâchoire qui recueille ces signaux. Il peut alors les analyser et comprendre ce qui se trouve en face de lui, même dans le noir. Or, de nombreux bateaux émettent des ondes identiques à l’aide de sonars. Ces dernières déstabilisent les dauphins ou les baleines en perturbant leurs sens. Un matin, le pêcheur fut pris dans l’une d’elle, émise par un navire. Il ressentit cela comme une véritable explosion qui l'assomma littéralement et le laissa évanoui. Il dériva longtemps, sans pouvoir lutter contre le courant. C'est pour cela qu'il ne revint pas pendant de longs jours vers son ami.

         Le dauphin se rendit à la mine. On lui remit un casque et ses habits de mineurs. Tout d'abord, près du puits d'entrée, il hésita: il avait peur. Puis, comme il ne voulait pas passer pour un lâche, il prit sur lui et descendit avec ses nouveaux compagnons. En bas il faisait presque nuit et l'air était humide. Il alluma sa lampe. Il y avait déjà du monde et il vit des wagonnets remplis de houille tirés par des chevaux. Dans les galeries, ces derniers avançaient avec peine. « Ainsi, ici, même les animaux souffrent, se dit-il » Puis, on lui indiqua où il devait creuser et, toute la journée, il s'acharna avec son piolet à extraire du charbon. Il faillit se blesser plusieurs fois. Alors, il accueillit avec soulagement la pause de midi. En mangeant son casse-croûte, il discuta avec ses compagnons: 
« Tu es nouveau, non ? lui demandèrent-ils.
  Oui, répondit-il.
  Alors, bienvenue... Tu verras, ici on travaille dur. Mais, c'est la vie...Et puis, en général, il n'y a pas de problèmes entre nous. Si tout le monde y met du sien, cela se passe bien. On a déjà assez de difficultés pour ne pas en rajouter! »
Puis, comme avec ses amis dauphins, il discuta plein d’enthousiasme avec ses nouveaux camarades. Il découvrit là une franche amitié et fut accepté par tous. Treize heures : Le travail reprit jusqu’au soir. Et lorsqu’il rentra chez lui, il était fourbu mais fier : Il avait gagné de quoi nourrir sa famille.

                   Entre-temps, l’homme avait repris ses esprits. Alors il pensa avec regret à sa femme et à son enfant. Il résolut de rentrer chez lui. Il parvint à la plage un matin, de très bonne heure. Le dauphin, qui ne travaillait pas, était sur le rivage. Ils se regardèrent longtemps.
C’est le dauphin qui parla le premier :
« Comment vas-tu ?
  Je vais bien lui répondit l’homme.
  Je sais maintenant ce que peut-être une vie d’homme, poursuivit le dauphin.
  Et moi j’ai compris ce que peut être une vie de dauphin reprit le pêcheur.
Pui il ajouta :
  Comment va mon fils ?
  Il va mieux, lui répondit le dauphin. Le médecin a dit qu’il sera bientôt guéri.
  J’aimerais le revoir. Sa mère et lui me manquent.
  Alors reprenons nos rôles respectifs ! Continua le dauphin. »

         Ainsi l’esprit du dauphin réintégra le corps du dauphin et l’esprit du pêcheur, le corps du pêcheur.

« Nous continuerons à nous aider !
  Je viendrai pêcher, dit l’homme.
  Et moi, je te rabattrai le poisson, dit le dauphin »
         La vie reprit comme avant avec cependant une petite différence. Chacun connaissait mieux l’autre. Chacun savait ses désespoirs, ses doutes, ses bonheurs et ses chagrins. Mais ils n’en parlèrent pas. Leur amitié forcit et elle dura de longues années encore. Voici l’histoire telle que l’on me l’a racontée. Je ne sais pas si elle est vraie. Mais, elle est belle, n’est-ce-pas ?

dimanche 14 juin 2015

Orion : début...



Orion


         La nuit tombe sur la forêt. Le soleil qui disparaît colore les arbres de ses teintes écarlates. Le silence s’installe. Seuls quelques oiseaux parmi les plus bavards, continuent de chanter. Dans la douceur du soir, ils racontent les aventures de la journée.
« Pirlouit ! Pirlouit ! Savez-vous mesdames, messieurs, que cet après-midi, nous avons reçu la visite d’un petit chat de la ville voisine ? En courant derrière un papillon il s’était égaré chez nous. Ah ! Ces enfants ! Rassurez-vous, Caracal le lynx l’a ramené chez lui.
  Coucou ! Coucou ! Les saumons rentrent chez eux ! Demain ils remonteront la rivière. Cyané, la fée du lac, vous invite à venir admirer le spectacle.
  Qui a vu Odile la tortue ? Son mari la cherche partout. Peut-être s’est-elle retournée encore une fois ?
  On a aperçu des trolls rôder près du puits aux sept pierres. Attention ! »
         Chacun rentre chez soi. On se prépare à passer une bonne nuit, bien au chaud et à l’abri. Dans quelques heures, le peuple des rêves se glissera dans toutes les demeures endormies. Il chuchotera à qui veut l’entendre, de merveilleuses histoires. Là, on deviendra le prince d’un royaume magique. Ailleurs, de fabuleux trésors seront découverts. On mangera de délicieux gâteaux à la crème. Un farfadet osera enfin déclarer son amour à sa bien-aimée.

         Dans sa maison, monsieur Méphilès ne se prépare pas à dormir. Il tourne, il essaie de s’occuper, mais toujours ses pensées reviennent vers sa femme. Mais au fait, le connaissez-vous ? Connaissez-vous sa famille ? Laissez-moi vous la présenter. Monsieur et madame Méphilès sont deux diables, parents de trois enfants, des diablotins. Ils habitent une maison au cœur de la forêt. Monsieur Méphilès est l’un des seigneurs de la région. Sa grande taille, sa couleur rouge, sa force, tout en lui impose le respect et la crainte. Ses mains sont armées de griffes acérées qu’il peut rentrer, comme les chats, et sur la tête, il porte deux belles cornes semblables en tous points à celles des taureaux. Ses colères sont terribles. Quand il se fâche, la forêt entière tremble. Chacun alors se terre en espérant qu’il ne tombera pas dans ses pattes. Pour qui le connaît, il est facile pourtant de savoir s’il faut le laisser seul. Je vous explique : Lorsqu’il est contrarié, d’abord il ferme les yeux et il inspire lentement. S’il est peu irrité, il se détend très vite : Il n’y a rien à craindre. S’il est plus énervé, son souffle devient soupir de déception : Il gronde. Il lui faut déjà plus de temps pour retrouver le calme. Mais parfois, la tempête se déchaîne. Alors il arrache les arbres, à coups de pieds, à coups de poings. Il hurle. Il court droit devant lui, et dévaste tout sur son passage. Malheur à celui qui n’a pas déjà fui !
         Fort heureusement, madame Méphilès est beaucoup plus douce. Aussi, bien souvent, c’est elle qui calme les colères de son époux avant qu’elles ne deviennent dévastatrices. Elle lui ressemble bien sûr. Mais elle est plus fine et moins puissante que lui. Ainsi, ses deux cornes sont plus petites et sa peau rouge paraît moins épaisse. Plus réfléchie, plus tranquille, elle sait garder la tête froide en toute circonstance. D’ailleurs, les habitants de la forêt n’en ont pas vraiment peur. Pourtant, ils l’évitent quand même, car ils savent que non loin d’elle, gambadent toujours ses enfants. Et les diablotins, eux, s’ils vous attrapent, attention !
         Le plus grand a sept ans. Les deux suivants sont âgés respectivement de cinq et quatre ans. Bien entendu, ils se montrent assez turbulents, surtout le dernier ! Le plus grand fait des efforts pour aider son frère à apprendre les bonnes manières, mais il éprouve lui-même tellement de difficultés à bien se tenir que toutes les leçons de morale qu’il peut donner ne servent pas à grand-chose. On n’est pas un petit diable pour rien n’est-ce pas ?

         Ce soir, le diable est préoccupé.
« Tu vas bien ? Demande-t-il à sa femme.
  Oui, oui, merci.
  Tu en es sûre ? »
Madame Méphilès sourit. Elle se repose dans le fauteuil à bascule, au fond de la pièce, face à la cheminée. Sur la gauche de cette dernière, il y a une armoire ouverte et l'on peut y voir du linge, notamment les bonnets des diablotins avec leurs deux petits trous pour laisser passer les cornes. A l'entrée, on trouve une table sur laquelle sont posées quatre tasses qui ont servi à boire le café. Un  feu crépite et éclaire faiblement la pièce. Elle est heureuse. Ce matin, Galien, le médecin de la forêt lui a rendu visite. C’est un gnome, petit et plutôt rond. Sa barbiche, blanche et bien taillée, pourrait lui donner l’honorabilité qui convient aux gens de sa profession, si son gros nez ne le rendait plutôt comique. Une couronne de cheveux gris entoure le sommet de son crâne, rond et dégarni. Pourtant, malgré son air de clown, c’est un excellent médecin, respecté de tous.
Il l’a examinée longuement. Plusieurs fois il s’est gratté la tête, puis il a déclaré : « Madame, j’ai une bonne nouvelle pour vous. Je peux maintenant vous affirmer que la venue au monde au monde de votre enfant n’est plus qu’une question de jours.
  Une question de jours? Comment cela une question de jours ? Ne pouvez-vous pas être plus précis ? s’est impatienté monsieur Méphilès.
  Monsieur, a repris vivement le petit bonhomme, je suis médecin. J’ai été initié dès mon plus jeune âge aux mystères de la vie. Je sais que votre enfant naîtra bientôt. Malgré tout, il m’est impossible de prédire l’heure exacte de sa naissance, et ce, malgré toute l’étendue de mon savoir. La nature seule décidera du moment opportun. Je suis désolé. »
Alors le diable, déçu, dû se rendre à l’évidence : Il lui faudrait attendre.

         Trois jours passèrent au cours desquels le bébé ne se manifesta pas. Enfin, un midi, en rentrant de la chasse, monsieur Méphilès aperçut devant chez lui, le poney du médecin. Cinq balais de sorcières étaient posés le long du mur. Dans la cour, en petits comités, Quelques lutins discutaient et riaient bien fort. Il ne lui fallut pas longtemps pour saisir les raisons de cette réunion. Il se précipita chez lui : « Enfin ! S’écria-t-il, où est-il ? »
Effectivement, l’enfant était né. Il se reposait à présent dans un berceau de bois, au milieu de la pièce, à droite du grand lit de sa mère. En souriant, le diable chercha le regard de ceux qui étaient venus apporter leurs vœux. Très vite, il se rendit compte que quelque chose n’allait pas : « Que se passe-t-il ? Ne devriez-vous pas être heureux aujourd’hui ?
  Mais, nous sommes heureux, lui répondit son épouse. Nous sommes juste un peu bouleversés par l’évènement. Patiente un peu. Nous allons retrouver le sourire ! »
Il s’approchait du berceau et, comme il tendait les mains afin d’attraper l’enfant, madame Méphilès intervint : « Attends ! Tu devrais le laisser se reposer. Il est si petit. Il est très fatigué, tu sais. N’est-ce pas docteur ?
  Oui, oui » répondit doucement le médecin.
Surpris, Méphilès s’arrêta. Il haussa les épaules et suivit sagement les conseils de sa femme. Nul ne bougeait dans l’assistance. Il patienta deux minutes et reprit : « Bien, maintenant il s’est reposé. Regarde, il ne bouge même pas sous les couvertures. D’ailleurs, je ne le toucherai pas.
  Oui, mais…même si tu ne le touches pas, il te sentira ! Tu es si grand, et il se réveillera. Ne veux-tu pas attendre encore un peu ? Il vient de naître. Il est encore très faible. N’est-ce pas docteur ?
  Oui, oui, c’est vrai, répondit celui-ci encore plus doucement.
  C’en est trop de cette comédie ! s’écria Frasquita la sorcière. Je m’en vais !
  Quelle comédie ? s’inquiéta monsieur Méphilès. »
Et comme la sorcière s’apprêtait à quitter la pièce, elle rencontra le regard de madame Méphilès qui la foudroya sur place. Alors elle s’assit dans un coin, sur une chaise, et dit : « Oh ! Rien, rien du tout, je rêvais… »

         Mais il était trop tard. Le diable était près du berceau. Doucement, il souleva la couverture. La surprise le rendit muet et incapable de bouger. Rassurez-vous, l’enfant n’avait pas deux têtes ou cinq bras. Non, non ! Mais le nouveau petit frère était… Comment dire …Plutôt étonnant. ( A suivre...)