Orion
La nuit tombe sur la
forêt. Le soleil qui disparaît colore les arbres de ses teintes écarlates. Le
silence s’installe. Seuls quelques oiseaux parmi les plus bavards, continuent
de chanter. Dans la douceur du soir, ils racontent les aventures de la journée.
« Pirlouit ! Pirlouit ! Savez-vous
mesdames, messieurs, que cet après-midi, nous avons reçu la visite d’un petit
chat de la ville voisine ? En courant derrière un papillon il s’était
égaré chez nous. Ah ! Ces enfants ! Rassurez-vous, Caracal le lynx
l’a ramené chez lui.
— Coucou ! Coucou ! Les saumons
rentrent chez eux ! Demain ils remonteront la rivière. Cyané, la fée du
lac, vous invite à venir admirer le spectacle.
— Qui a vu Odile la tortue ? Son
mari la cherche partout. Peut-être s’est-elle retournée encore une fois ?
— On a aperçu des trolls rôder près du
puits aux sept pierres. Attention ! »
Chacun rentre chez soi. On
se prépare à passer une bonne nuit, bien au chaud et à l’abri. Dans quelques
heures, le peuple des rêves se glissera dans toutes les demeures endormies. Il
chuchotera à qui veut l’entendre, de merveilleuses histoires. Là, on deviendra
le prince d’un royaume magique. Ailleurs, de fabuleux trésors seront
découverts. On mangera de délicieux gâteaux à la crème. Un farfadet osera enfin
déclarer son amour à sa bien-aimée.
Dans sa maison, monsieur
Méphilès ne se prépare pas à dormir. Il tourne, il essaie de s’occuper, mais
toujours ses pensées reviennent vers sa femme. Mais au fait, le
connaissez-vous ? Connaissez-vous sa famille ? Laissez-moi vous la
présenter. Monsieur et madame Méphilès sont deux diables, parents de trois
enfants, des diablotins. Ils habitent une maison au cœur de la forêt. Monsieur
Méphilès est l’un des seigneurs de la région. Sa grande taille, sa couleur
rouge, sa force, tout en lui impose le respect et la crainte. Ses mains sont
armées de griffes acérées qu’il peut rentrer, comme les chats, et sur la tête,
il porte deux belles cornes semblables en tous points à celles des taureaux.
Ses colères sont terribles. Quand il se fâche, la forêt entière tremble. Chacun
alors se terre en espérant qu’il ne tombera pas dans ses pattes. Pour qui le
connaît, il est facile pourtant de savoir s’il faut le laisser seul. Je vous
explique : Lorsqu’il est contrarié, d’abord il ferme les yeux et il
inspire lentement. S’il est peu irrité, il se détend très vite : Il n’y a
rien à craindre. S’il est plus énervé, son souffle devient soupir de
déception : Il gronde. Il lui faut déjà plus de temps pour retrouver le
calme. Mais parfois, la tempête se déchaîne. Alors il arrache les arbres, à
coups de pieds, à coups de poings. Il hurle. Il court droit devant lui, et
dévaste tout sur son passage. Malheur à celui qui n’a pas déjà fui !
Fort heureusement, madame
Méphilès est beaucoup plus douce. Aussi, bien souvent, c’est elle qui calme les
colères de son époux avant qu’elles ne deviennent dévastatrices. Elle lui
ressemble bien sûr. Mais elle est plus fine et moins puissante que lui. Ainsi,
ses deux cornes sont plus petites et sa peau rouge paraît moins épaisse. Plus
réfléchie, plus tranquille, elle sait garder la tête froide en toute
circonstance. D’ailleurs, les habitants de la forêt n’en ont pas vraiment peur.
Pourtant, ils l’évitent quand même, car ils savent que non loin d’elle,
gambadent toujours ses enfants. Et les diablotins, eux, s’ils vous attrapent,
attention !
Le plus grand a sept ans.
Les deux suivants sont âgés respectivement de cinq et quatre ans. Bien entendu,
ils se montrent assez turbulents, surtout le dernier ! Le plus grand fait
des efforts pour aider son frère à apprendre les bonnes manières, mais il
éprouve lui-même tellement de difficultés à bien se tenir que toutes les leçons
de morale qu’il peut donner ne servent pas à grand-chose. On n’est pas un petit
diable pour rien n’est-ce pas ?
Ce soir, le diable est
préoccupé.
« Tu vas bien ? Demande-t-il à sa femme.
— Oui, oui, merci.
— Tu en es sûre ? »
Madame Méphilès sourit. Elle se repose dans le
fauteuil à bascule, au fond de la pièce, face à la cheminée. Sur la gauche de
cette dernière, il y a une armoire ouverte et l'on peut y voir du linge,
notamment les bonnets des diablotins avec leurs deux petits trous pour laisser
passer les cornes. A l'entrée, on trouve une table sur laquelle sont posées
quatre tasses qui ont servi à boire le café. Un
feu crépite et éclaire faiblement la pièce. Elle est heureuse. Ce matin,
Galien, le médecin de la forêt lui a rendu visite. C’est un gnome, petit et
plutôt rond. Sa barbiche, blanche et bien taillée, pourrait lui donner
l’honorabilité qui convient aux gens de sa profession, si son gros nez ne le
rendait plutôt comique. Une couronne de cheveux gris entoure le sommet de son
crâne, rond et dégarni. Pourtant, malgré son air de clown, c’est un excellent
médecin, respecté de tous.
Il l’a examinée longuement. Plusieurs fois il s’est
gratté la tête, puis il a déclaré : « Madame, j’ai une bonne nouvelle
pour vous. Je peux maintenant vous affirmer que la venue au monde au monde de
votre enfant n’est plus qu’une question de jours.
— Une question de jours? Comment cela une
question de jours ? Ne pouvez-vous pas être plus précis ? s’est
impatienté monsieur Méphilès.
— Monsieur, a repris vivement le petit
bonhomme, je suis médecin. J’ai été initié dès mon plus jeune âge aux mystères
de la vie. Je sais que votre enfant naîtra bientôt. Malgré tout, il m’est
impossible de prédire l’heure exacte de sa naissance, et ce, malgré toute
l’étendue de mon savoir. La nature seule décidera du moment opportun. Je suis
désolé. »
Alors le diable, déçu, dû se rendre à l’évidence : Il lui faudrait
attendre.
Trois jours passèrent au
cours desquels le bébé ne se manifesta pas. Enfin, un midi, en rentrant de la
chasse, monsieur Méphilès aperçut devant chez lui, le poney du médecin. Cinq
balais de sorcières étaient posés le long du mur. Dans la cour, en petits comités,
Quelques lutins discutaient et riaient bien fort. Il ne lui fallut pas
longtemps pour saisir les raisons de cette réunion. Il se précipita chez
lui : « Enfin ! S’écria-t-il, où est-il ? »
Effectivement, l’enfant était né. Il se reposait à
présent dans un berceau de bois, au milieu de la pièce, à droite du grand lit
de sa mère. En souriant, le diable chercha le regard de ceux qui étaient venus
apporter leurs vœux. Très vite, il se rendit compte que quelque chose n’allait
pas : « Que se passe-t-il ? Ne devriez-vous pas être heureux
aujourd’hui ?
— Mais, nous sommes heureux, lui répondit
son épouse. Nous sommes juste un peu bouleversés par l’évènement. Patiente un
peu. Nous allons retrouver le sourire ! »
Il s’approchait du berceau et, comme il tendait les
mains afin d’attraper l’enfant, madame Méphilès intervint :
« Attends ! Tu devrais le laisser se reposer. Il est si petit. Il est
très fatigué, tu sais. N’est-ce pas docteur ?
— Oui, oui » répondit doucement le
médecin.
Surpris, Méphilès s’arrêta. Il haussa les épaules et suivit sagement les
conseils de sa femme. Nul ne bougeait dans l’assistance. Il patienta deux
minutes et reprit : « Bien, maintenant il s’est reposé. Regarde,
il ne bouge même pas sous les couvertures. D’ailleurs, je ne le toucherai pas.
— Oui, mais…même si tu ne le touches pas,
il te sentira ! Tu es si grand, et il se réveillera. Ne veux-tu pas
attendre encore un peu ? Il vient de naître. Il est encore très faible.
N’est-ce pas docteur ?
— Oui, oui, c’est vrai, répondit celui-ci
encore plus doucement.
— C’en est trop de cette comédie !
s’écria Frasquita la sorcière. Je m’en vais !
— Quelle comédie ? s’inquiéta
monsieur Méphilès. »
Et comme la sorcière s’apprêtait à quitter la
pièce, elle rencontra le regard de madame Méphilès qui la foudroya sur place.
Alors elle s’assit dans un coin, sur une chaise, et
dit : « Oh ! Rien, rien du tout, je rêvais… »
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